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Seul ce qui brule – Christiane Singer



seul ce qui brule“Il vit sortir de derrière la tapisserie une femme, la plus belle qu’il était possible de regarder mais elle avait la tête toute tondue, le demeurant du corps habillé de noir… Elle alla s’asseoir au bout de la table, sans parler à nulluy et ny nul à elle. Après qu’elle eut mangé un peu, elle demanda à boire, ce que lui apporta un serviteur, dans un émerveillable vaisseau, car c’était la tête d’un mort dont les yeux étaient bouchés d’argent…”

De cette nouvelle de trois pages, la trente-deuxième de l’Heptaméron de Marguerite de Navarre, est né ce récit.

Il est une sorte d’hommage à la jeune fille de quinze ans que j’ai été qui, après lecture, avait inscrit une seule phrase:

Comme cette histoire me trouble!

De cette interjection monte en moi un frémissement de mémoire: la peur panique que je n’ai cessé d’éprouver une vie durant de toute tiédeur – Nihil nisi ardeat! Seul ce qui brûle! – et la hantise de vivre plat. (Extrait du prologue)

J’ai été assez surprise par cette lecture, d’abord parce que la couverture et le résumé m’avait laissé penser que j’abordais un roman de style gothique, ce qui n’est pas du tout le cas, nous sommes plutôt ici dans un texte philosophique sur le thème de l’amour. Inspirée donc par une nouvelle de Marguerite de Navarre, Christiane Singer évoque le destin d’un couple au XVIème siècle, déchiré par l’adultère et la jalousie. Elle donne la parole tour à tour au maitre de maison, Sigismund d’Ehrenburg, puis à sa femme, Albe. A travers Sigismund, on s’approche de la frontière fragile entre l’amour, la folie et la haine: Dans ses lettres il raconte le coup de foudre qu’il a eu pour Albe alors qu’elle n’avait que 13 ans, sa passion dévorante, les douleurs de la jalousie dans lesquelles il va s’égarer  et qui le conduiront à traiter sa femme de façon particulièrement cruelle (c’est dans le crâne de son supposé amant que la jeune femme boit chaque jour!).  Albe, elle, se confie à son cahier, évoque son enfance, les leçons de sa nourrice sur le mariage et les hommes. Enfermée, soumise à des humiliations quotidiennes, elle ne cède pourtant jamais à la colère et à la haine, et  témoigne d’un amour sans failles pour son mari. Le moment le plus intense de ce texte reste ce passage tiré de l’Heptaméron où Albe apparait tondue, vêtue de noir, et doit boire dans ce crâne serti d’argent, ce qui m’a donné très envie de me plonger dans l’oeuvre de Marguerite de Navarre. Le reste du récit m’a paru un peu fade en comparaison, même si le style solide de Christiane Singer apporte une certaine puissance à l’histoire. Malgré quelques réserves donc, “Seul ce qui brûle” est un beau récit sur la complexité et la richesse du sentiment amoureux.

Le livre de poche 2009, 120 pages, 4,50€ (1ère édition Albin Michel 2006)

Les avis d’Yspaddaden, LN, Leiloona, Praline.

Les mémoires de Giorgione – Claude Chevreuil


1510, le peintre vénitien Giorgione, malade de la peste, est revenu dans son village natal de Castelfranco pour y mourir. Il écrit une longue lettre à l’un de ses élèves, Sebastiano Del Piombo, dans laquelle il revient sur sa vie: fils de modestes paysans, il a quitté très tôt sa famille pour s’installer à Venise et intégrer l’atelier du grand Bellini. Lors de ses années d’apprentissage, il rencontrera les plus grands artistes, fréquentera la noblesse italienne, et découvrira aussi les plaisirs de l’amour .

Bien plus que le portrait romancé d’un peintre, Les mémoires de Giorgione est aussi le récit d’une époque foisonnante, la renaissance italienne, et d’une ville, Venise,  en pleine ébullition artistique. Au cours de son existence brève mais intense (il est mort à 33 ans), Giorgione y rencontrera entre autres grandes figures Léonard de Vinci, Dürer ou Titien, qui fut son élève avant de s’affirmer comme son plus grand rival. Claude Chevreuil livre ici un texte dense et passionné, parfois un peu obscur pour le non-initié quand il aborde certains aspects techniques de la peinture. Mais en bon pédagogue il s’efforce le plus souvent d’alléger le propos, par exemple  en accordant une large place à la vie amoureuse du peintre, et le récit est finalement assez bien équilibré, à la fois instructif et divertissant. S’il vaut mieux être un amateur averti pour saisir toutes les subtilités du récit, ceux qui comme moi ne connaissent pas grand chose à la peinture passeront donc tout de même un bon moment avec ce roman!


Le livre de poche, 416 pages, 6,50€
Les avis de Praline et de Kepherton.