Le blé en herbe de Colette

Le blé en herbe Colette

“Vinca et moi, un être juste assez double pour être deux fois plus heureux qu’un seul, un être qui fut Phil-et-Vinca va mourir ici, cette année. Est-ce que cela n’est pas terrible ? Est-ce que je ne puis pas l’empêcher ? Et je reste là… Et ce soir, après dix heures, peut-être que je m’en irai encore une fois, la dernière fois des vacances, chez Mme Dalleray…”

Pour ce mois de septembre, le thème de Les classiques c’est fantastique organisé par Moka était l’adolescence, et j’ai choisi de lire Le blé en herbe de Colette. Depuis toujours les familles de Philippe et de Vinca passent la période estivale ensemble en Bretagne, dans la baie de Saint Malo. Phil, 16 ans et Vinca, 15 ans, sont coincés entre l’enfance et leurs premiers émois amoureux. Mais voilà que Philippe croise Mme Dalleray, une femme d’une trentaine d’années qui va l’initier aux plaisirs de la chair.

Le blé en herbe est un roman sur la sexualité naissante de deux adolescents, un livre à la fois sensuel et mélancolique sur la fin de l’enfance.

Ce livre qui tourne essentiellement autour de la question sexuelle (on est loin de la dark romance quand même), fit grand bruit à l’époque. Tout comme son adaptation cinématographique par Claude Autant-Lara, 30 ans plus tard. Il fut d’abord publié en feuilleton en 1922 dans Le Matin, avant que la rédaction du journal n’en suspende la publication. Comble du scandale, c’est sa propre liaison avec son beau-fils, Bertrand de Jouvenel, qui a inspiré à Colette la relation entre Philippe et Mme Dalleray. Il avait 17 ans, elle en avait 47.

C’est un livre qui a donc été écrit il y a plus d’un siècle, mais que j’ai quand même trouvé étonnamment moderne. C’est aussi un récit très riche d’un point de vue littéraire : Colette décrit ici avec beaucoup de finesse les couleurs délavées d’une fin d’été sur la côte bretonne. Elle connaissait bien le coin puisqu’elle possédait une maison, Roz Ven, située à Saint Coulomb (une maison que le précédent propriétaire refusa d’abord de lui vendre parce qu’elle s’était présentée à lui habillée en homme !).

Le blé en herbe de Colette, j’ai lu éditions, 125 pages.

Bel-ami – Maupassant

Bel-ami Maupassant

Pour ce mois d’août le thème du challenge Les classiques c’est fantastique était Je ne suis pas un héros ! (ni une héroïne), et j’ai choisi de lire Bel-ami de Maupassant, publié en 1885. 

Georges Duroy, alias Bel-ami, est un jeune homme issu d’un milieu modeste, qui débarque à Paris après quelques années dans l’armée. Sans le sou, il croise par hasard un ancien camarade, Forestier, qui lui trouve un petit boulot de reporter pour le journal La Vie Française. Georges n’a aucun talent, il n’est pas particulièrement intelligent ou cultivé, il ne connaît rien à la politique, et il est même incapable d’écrire le moindre article. Mais qu’importe, puisque Georges est beau garçon : dans un monde où seul les apparences comptent, il va donc utiliser son charisme auprès des femmes de la bonne société pour gravir peu à peu les échelons.

Georges est opportuniste et calculateur, rongé par l’envie et l’ambition. Maupassant en a fait un anti-héros mais sans tomber non plus dans l’outrance :  je l’ai presque trouvé touchant parfois, par exemple quand il retrouve ses parents en province, avec une certaine tendresse, malgré le fossé social qui les sépare désormais. Maupassant avait l’habitude de dire “Bel-ami c’est moi !”, et il s’est visiblement beaucoup inspiré de son propre parcours pour nourrir ce roman. Georges Duroy est odieux certes, mais il n’est finalement qu’un produit de son époque : ce roman est avant tout une critique des milieux médiatiques, politiques et bourgeois, où règnent l’entre-soi, l’oisiveté, la manipulation et l’argent

Voilà bien longtemps que je n’avais pas lu Maupassant, et cela a été un vrai plaisir de me replonger dans ce roman plein d’esprit et de férocité

Bel-ami de Guy de Maupassant, Folio Classique, 438 pages.

Le retour, une nouvelle de Joseph Conrad

Le retour Joseph Conrad

2024 marque le centenaire de la mort de Kafka (en juin), mais aussi celui de Joseph Conrad (en août). L’édition de juillet de Les classiques c’est fantastique organisé par Moka mettait donc en avant ces deux auteurs avec une battle Kafka vs Conrad. Je n’avais pas très envie de me replonger dans Kafka (j’ai été traumatisée par La métamorphose il y a longtemps), j’ai donc choisi de découvrir Joseph Conrad avec une nouvelle d’une centaine de pages, Le retour, publiée par les éditions Folio dans la collection Folio 3 €.

Le retour fait à l’origine partie d’un recueil de nouvelles, Inquiétude, paru en 1898. Alvan Hervey, un bourgeois londonien rentre chez lui un soir et découvre une lettre de sa femme l’informant qu’elle le quitte. Son monde s’effondre : il essaye de comprendre les raisons de ce départ, quand, nouvelle surprise, sa femme réintègre le domicile conjugal.

Le retour est un huis clos qui accorde une large part aux pensées d’Alvan, sous la forme d’un monologue. Sur un ton sarcastique, Conrad évoque l’univers parfaitement réglé de ce londonien de la fin du XIXe siècle, très attaché aux apparences et à une existence sans aucune aspérité, terrifié par la moindre émotion. En contrepoint, sa femme, qu’il n’a jamais considéré que comme un objet de décoration, a découvert, ou a cru découvrir, l’amour et la passion avec un autre.

“(…) la passion est l’impardonnable et secrète infamie de nos coeurs, ce qu’il faut maudire, dissimuler et nier ; une chose impudente et désespérée qui foule aux pieds les riantes promesses, arrache le masque placide, met à nu le corps même de la vie. Et c’était à lui que ça arrivait. La passion avait posé sa main impure sur les draperies immaculées de son existence, et il lui fallait faire face seul sous les regards du monde entier. Du monde entier !”

Une nouvelle qui explore en profondeur la psychologie d’un homme (ce qui est plutôt rare pour l’époque) et d’un couple, avec un style impeccable. J’avoue quand même qu’elle m’a parue un peu longuette. À noter que cette nouvelle a fait l’objet d’une libre adaptation par Patrice Chéreau en 2005, sous le titre de Gabrielle.

Le retour de Joseph Conrad, éditions Folio, 128 pages.

À l’est d’Éden – John Steinbeck

A l'est d'eden

À l’est d’Éden de John Steinbeck, publié en 1952, était la lecture commune de juillet pour le challenge L’empoche classique. Après avoir lu Des souris et des hommes et Les raisins de la colère il y a longtemps, puis La perle plus récemment, j’étais impatiente de me plonger dans cette brique de 800 pages. 

L’histoire court sur plusieurs décennies, de la fin du XIXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Elle suit deux familles, d’un côté Adam et son demi-frère Charles Trask, dont le père, ancien soldat, possède une ferme dans le Connecticut, et de l’autre, les Hamilton, un couple d’Irlandais venu s’installer en Californie, dans la vallée de Salinas. Pour écrire À l’est d’Éden, John Steinbeck s’est inspiré de sa propre histoire familiale (Samuel Hamilton était son grand-père), ainsi que du mythe d’Abel et Caïn. Il met ainsi au centre de son récit deux générations de frères, Adam et Charles, puis Caleb et Aaron, les deux fils d’Adam. 

Même si j’avoue que certains passages psycho-philosophico-religieux m’ont paru un peu longuets, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce classique de la littérature américaine. Il est peuplé de personnages forts et attachants, comme Samuel Hamilton, inventeur solaire et généreux, ou Lee, le majordome d’origine chinoise d’Adam. Mais au milieu de tous ces personnages masculins, c’est sans aucun doute le personnage de Cathy, vicieuse et méchante, qui me marquera le plus. 

À l’est d’Éden de John Steinbeck, éditions Le livre de poche, 786 pages

L’attrape-cœurs – J.D. Salinger

L'attrape-cœurs de J. D. Salinger

Pour l’édition de juin de Les classiques c’est fantastique organisé par Moka, le thème était Tout plaquer ! Introspection, solitude et isolement. Comme j’avais déjà passé Une année à la campagne pour l’édition de mai consacrée à la nature, j’ai décidé cette fois de rester en ville avec L’attrape-cœurs de J.D. Salinger, publié en 1951.

Holden Caufield est un adolescent de 16 ans qui vient d’être renvoyé de son pensionnat huppé, juste avant les vacances de Noël. Après s’être battu avec son camarade de chambre, il s’enfuit de son collège mais préfère errer dans les rues de New-York plutôt que de rentrer chez lui et d’affronter ses parents.

Tout le roman de Salinger repose sur le personnage d’Holden, adolescent torturé qui n’aime rien ni personne, et qui n’arrive pas à trouver sa place. Traumatisé par la perte de son jeune frère, décédé d’une leucémie, Holden est perdu entre l’enfance et l’âge adulte. Pendant trois jours il erre de bar en bar, de souvenir en souvenir, essaye d’appeler quelques connaissances, fait des rencontres au hasard de ses pérégrinations, mais personne n’arrivera à le sortir de sa profonde solitude et de la dépression dans laquelle il s’enfonce.

L’attrape-cœurs est un roman sombre, l’appel à l’aide d’un ado qui grandit dans un monde qu’il perçoit triste et sans espoir. Holden est plutôt agaçant : il s’exprime grossièrement (le style brut et familier a déplu à plus d’un lecteur), et surtout il a un avis très arrêté et négatif sur tout ce qui l’entoure. Il n’a aucun filtre non plus dans sa relation aux autres, ce qui complique ses relations amicales ou amoureuses. Pourtant on ne peut s’empêcher de s’attacher à lui au fil des pages.

Un livre culte, sans doute parce que la colère et le désespoir qui se dégagent de ces pages ont dû parler à nombre d’adolescents au fil des décennies.

L’attrape-cœurs de J.D. Salinger, éditions Robert Laffont / Pavillons Poche, 256 pages