Catégorie : BD

Miroir de nos peines, l’adaptation graphique de Christian de Metter

 

Miroir de nos peines BD

Après Au-revoir là-haut et Couleurs de l’incendie, c’est le dernier tome de la trilogie de Pierre Lemaître qui est une nouvelle fois adapté en format graphique par Christian de Metter. Ce 3e volume nous plonge en avril 1940. On y retrouve Louise, la petite voisine d’Albert et Edouard dans Au revoir là-haut. Vingt ans plus tard, elle est devenue une jeune femme indépendante et solitaire. Institutrice, elle travaille aussi comme serveuse dans le restaurant de Monsieur Jules. Un jour, un médecin habitué de l’établissement lui propose une forte somme d’argent à une seule condition, la voir nue. Louise accepte, mais la rencontre ne va pas se dérouler comme prévu… Et la découverte d’un lourd secret familial va l’amener à se jeter sur les routes d’une France en pleine débâcle.

En parallèle de l’histoire de Louise, Miroir de nos peines retrace également la trajectoire de plusieurs autres personnages :  Raoul et Gabriel, deux soldats aux caractères très différents qui vont devoir s’allier, Fernand, un garde-mobile qui veut mettre à l’abri sa femme malade, et Désiré, un escroc charismatique. Avec ses nombreuses ramifications, ce dernier tome n’était sans doute pas le plus facile à adapter. Il est pourtant tout aussi réussi que les précédents ! Christian de Metter respecte parfaitement le travail initial de Pierre Lemaître, en jonglant aisément entre les différentes histoires, jusqu’à ce que les destins des personnages finissent par se croiser. Il apporte en plus sa patte graphique très reconnaissable, avec beaucoup de réalisme, des couleurs sombres, ainsi que des personnages aux traits anguleux et expressifs. Une belle conclusion !

Miroir de nos peines* de Christian de Metter, adapté du roman de Pierre Lemaître, novembre 2023, éditions Rue de Sèvres, 184 pages.

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“Pablo” ou la jeunesse de Picasso

Pablo

Cette version intégrale de Pablo regroupe 4 bandes-dessinées publiées entre 2012 et 2014. On y suit Pablo Picasso, depuis son arrivée à Paris en 1900, ainsi que Fernande Olivier : cette jeune femme est devenu modèle pour subvenir à ses besoins et échapper à son mari violent. Celle que l’on surnommera plus tard la “Belle Fernande” sera le premier amour et la muse du peintre espagnol, à qui elle inspirera des centaines de peintures.  Picasso se lie aussi d’amitié avec le fidèle Max Jacob, poète, astrologue à ses heures perdues, et secrètement amoureux du peintre. Il rencontre également Guillaume Apollinaire ou George Braque, co-fondateur du cubisme. Aucun d’eux n’est encore connu, et ils mènent alors une vie de bohème,  rythmée par les fêtes, le sexe et les substances illicites.

Truffée d’anecdotes, cette BD adopte le point de vue de Fernande Olivier. C’est elle qui nous fait entrer dans le quotidien du jeune Pablo avant qu’il ne devienne Picasso. Cet ouvrage se nourrit de la vie du peintre pour en faire un véritable personnage de BD. Pendant ces premières années parisiennes, Pablo cherche d’abord son style, et puis dans la dernière partie on suit la genèse des Demoiselles d’Avignon (dont le premier titre était Le bordel), qui signera le début du succès.

Picasso et Fernande rencontrent les marchands d’art Leo et Gertrude Stein, ou encore Matisse, ce “cher maître” avec qui la concurrence est féroce. Tout au long de la BD c’est un défilé de poètes et de peintres : certains deviendront célèbres, beaucoup connaîtront un destin tragique. Picasso, Fernande, Max Jacob, Apollinaire, Marie Laurencin, Braque et tant d’autres lient leurs existences dans un Paris en pleine ébullition culturelle entre l’exposition universelle, la création du bateau-lavoir à Montmartre, et le salon des artistes indépendants qui voit émerger une nouvelle génération de peintres. Quelle époque !

Pablo est une excellente BD, avec de l’humour et du rythme, qui séduira aussi bien ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’art que ceux qui ont juste envie de passer un bon moment avec des personnages hauts en couleur.

Pablo, en en version poche (Dargaud, juin 2022, 352 pages). Il existe aussi une version intégrale brochée et il est possible d’acheter le tome 1, le tome 2, le tome 3 et le tome 4 séparément.*

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Voleur de feu, une vie d’Arthur Rimbaud – Damien Cuvillier

Voleur de feu, une vie d'Arthur Rimbaud

Voleur de feu est une biographie romancée d’Arthur Rimbaud : si l’auteur s’appuie sur des données biographiques connues, il a aussi pris la liberté d’imaginer certaines scènes. Ce premier volume retrace l’enfance du poète, entre 1857 (Rimbaud avait 3 ans) et 1870 (il en avait 15). Avec son frère aîné et ses deux jeunes sœurs il est élevé par une mère sévère et exigeante, un peu bigote, entre les rues de Charleville-Mézières et la ferme de Roche, un héritage familial qu’elle dirige d’une main de fer. Le père officier, déjà peu présent lors de la petite enfance d’Arthur, finit par prendre définitivement la tangente.

Cette bande dessinée permet de découvrir la sphère familiale étouffante dans laquelle Rimbaud a grandi, ainsi que sa scolarité brillante (il rédige les devoirs des autres élèves pour quelques sous). Elle met également l’accent sur certaines rencontres décisives, comme avec son professeur de rhétorique Georges Izambard : ce dernier va élargir son horizon en lui faisant notamment découvrir la revue “Le parnasse contemporain” (qui publie alors un certain Paul Verlaine) et l’encourager dans ses ambitions littéraires.

J’ai trouvé que Damien Cuvillier prenait vraiment le temps de recréer l’ambiance d’une petite ville de province au XIXe siècle, il y a un beau travail sur les couleurs et l’ensemble est ponctué d’extraits de poèmes. C’est une BD que je vous recommande si vous avez envie d’en apprendre plus sur “l’homme aux semelles de vent”.

Voleur de feu, une vie d’Arthur Rimbaud / Livre 1 (clic) de Damien Cuvillier – éditions Futuropolis, septembre 2023, 104 pages.


Indiana de George Sand, l’adaptation BD

Indiana - Catel & Bouilhac (Indiana a de faux-airs d’Isabelle Adjani, non ?)

Indiana a été le premier roman de George Sand publié sous son nom de plume, et il est ici adapté en BD par le duo Catel & Claire Bouilhac. La jeune et fragile Indiana, originaire de l’île-Bourbon, est mariée à un vieux colonel grognon, Monsieur Delmare. Elle mène désormais une existence morne et ennuyeuse dans un petit château de La Brie. Alors, quand un jeune et aimable noble, Monsieur de Ramière, s’installe dans les environs, elle ne tarde pas à tomber sous son charme. Mais il commence par séduire Noun, la servante et sœur de lait créole d’Indiana. Tous les ingrédients sont réunis pour qu’un drame survienne…

Bien plus qu’une histoire d’amour contrariée, Indiana est considéré avant tout comme un roman féministe : il montre la difficulté pour les femmes du XIXe siècle de faire leurs propres choix, ainsi que la peur du scandale qui règne sur leurs vies. Mais les personnages féminins de ce récit n’en sont pas pour autant sympathiques ! Indiana est même prodigieusement agaçante. Les hommes sont quant à eux dépeints comme des êtres pétris d’égoïsme : Raymon de Ramière est manipulateur, obsédé par sa quête du plaisir, enivré par le pouvoir qu’il exerce sur les femmes. Malgré ces personnages déplaisants, j’ai eu plaisir à découvrir ce classique sous une forme graphique, la férocité du propos étant parfaitement mise en valeur par la modernité des dessins.

Si cette histoire adaptée à 4 mains est illustrée pour sa plus grande partie par Claire Bouilhac, c’est Catel qui prend en charge les premières et les dernières pages : elle y met en scène George Sand elle-même. Cette dernière évoque l’impossibilité de signer son roman avec son nom de femme ou justifie la fin du livre qui ne suivait pas les codes de la littérature romantique en vogue à l’époque. Ces éléments biographiques éclairent habilement l’ensemble de l’ouvrage.

Indiana (clic) de Georges Sand, adaptée par Catel & Bouilhac – éditions Dargaud, septembre 2023 – 176 pages

 

Indiana - Catel et Bouilhac

Alice Guy – Catel & Bocquet

Née en France en 1873, Alice Guy a grandi entre le Chili, où avait émigré ses parents, et la Suisse, où elle fréquente des pensionnats pour jeunes filles de bonne famille. Quand son père meurt, laissant sa famille ruinée, elle choisit de devenir sténo-dactylo plutôt que de se marier comme ses sœurs aînées. Travaillant pour Léon Gaumont, elle se révèle vite indispensable à son patron, réalisant les premiers films des studios. Elle suit ensuite son mari aux Etats-Unis et y fonde sa propre société de production, la Solax.

“Mademoiselle Alice” a donc été la toute première réalisatrice de l’histoire du cinéma, tournant plus de 500 films au cours de sa carrière. Elle a pourtant passé la fin de sa vie dans l’ombre, et a été injustement effacée des manuels d’histoire au profit des hommes avec qui elle avait travaillé. Ce roman graphique édité dans la collection “Les clandestines de l’histoire” aux éditions Casterman BD permet de remettre en lumière son travail et de retracer le destin de cette femme de caractère, qui a réussi à s’imposer dans un monde d’hommes à la seule force de son talent. Ce livre fourmille de détails tant sur la vie d’Alice Guy, que sur les tout-débuts (difficiles) du cinéma. On y croise entre autres Méliès, les frères Lumière ou Gustave Eiffel… Un roman graphique indispensable, signé par le duo Catel Muller & José-Louis Bocquet.

Alice Guy de Catel Muller & José-Louis Bocquet, éditions Casterman BD 2021, 400 pages.