Catégorie : BD

[BD] Polina – Bastien Vivès

Il faut être souple si vous voulez espérer un jour devenir danseuse. Si vous n’êtes pas souple à 6 ans, vous le serez encore moins à 16 ans. La souplesse et la grâce ne s’apprennent pas. C’est un don. Suivante… ” Polina Oulinov, jeune danseuse russe de 6 ans, intègre une prestigieuse école de danse. Au fil des années, elle devra faire des choix difficiles pour trouver son  chemin et sa vérité d’artiste.

« Polina » est une immersion totale dans l’univers de la danse, sur l’exigence physique et morale qu’elle implique. « Même si tu as mal, surtout, ne le montre pas », c’est le terrifiant conseil que la petite fille reçoit de sa mère dès la 1ere page, alors qu’elle se rend à une audition.  J’ai beaucoup aimé suivre le cheminement artistique de cette jeune  danseuse très attachante: C’est une histoire de passion, de souffrance, de déceptions, de doutes, de dépassement de soi. Au cœur de cet album il y a aussi et surtout la relation de la danseuse avec son professeur, son mentor, l’intimidant Nikita  Bojinski. Une relation de travail et de rigueur qui laissera peu à peu place à un respect réciproque  et à une certaine tendresse (les dernières pages sont très émouvantes)

C’est le 3ème album de Bastien Vivès que je lis (Après Le goût du chlore et Dans ses yeux), et on y retrouve bien sa patte, son goût notamment pour la décomposition des mouvements et le décryptage des émotions. Au niveau du scénario j’ai trouvé que cet album était plus abouti que les précédents, l’histoire est plus solide. Le dessin a lui aussi évolué, vers le noir et blanc d’abord (alors que la couleur était vraiment mise en avant dans ses autres albums), et il est plus épuré.  Il y a beaucoup de flous, certains traits, certains visages sont gommés. De ce point de vue j’avais préféré les albums précédents… J’ai aussi regretté le manque de repères temporels dans les premières pages, on a du mal à savoir l’age de Polina (il y a de grands sauts dans le temps). Malgré ces quelques réserves, « Polina » est vraiment un très bel album, sensible et délicat.

Editions Casterman (KSTR) 2011, 206 pages/

BD: Feuille de chou (journal d’un tournage) – Mathieu Sapin

feuille de chouNote/4 etoiles

En janvier 2010 est sorti le film “Gainsbourg, vie héroïque”, réalisé par Joann Sfar. Auteur de B.D. lui-même, il était naturel qu’il associe d’une façon ou d’une autre le monde de la B.D. à ce projet. Il a donc confié à un autre dessinateur, Mathieu Sapin, le soin de dessiner une sorte de making-off du film. Les repérages, les essais de costumes, la construction des décors, l’enregistrement de la musique, les coulisses du tournage lui même, Mathieu Sapin a donc eu le privilège pendant plusieurs mois de suivre cette aventure  de A à Z.

“Gainsbourg, Vie héroïque” bénéficiait d’un bien beau casting et on croise au fil des pages les nombreux acteurs qui ont participé à ce film, Eric Elmosnino, Laetitia Casta, Claude Chabrol, Anna Mouglalis, Sara Forestier, François Morel, Yolande Moreau ou Lucy Gordon… Mais ce qui est le plus intéressant c’est bien sûr le coté hors-champ que nous fait partager Mathieu Sapin, les conversations off, les rumeurs, les tensions, les blagues entre techniciens, la difficulté à faire tourner des enfants ou les animaux, les contretemps, les incidents, les anecdotes,  les secrets des effets spéciaux, les relations avec les médias ou la production.  “Feuille de chou” est un album très riche, incroyablement détaillé, bien plus qu’un making-off traditionnel.  Mathieu Sapin ayant saisi la majorité de ses dessins “sur le vif”, l’ensemble est un peu brouillon et peut-être parfois  fastidieux à décrypter:  Certaines pages sont très chargées, il n’y a pas toujours de cohérence entre deux dessins, il a aussi rajouté pas mal d’annotations dans tous les sens ou a rayé des éléments compromettants pour certains protagonistes.

Mais on apprend vraiment beaucoup de choses sur la façon dont se déroule un tournage, tous les métiers qui s’y côtoient, en quoi consiste exactement le travail de script par exemple, ce qu’est un steady cam ou un combo. Qu’on ne dit pas figurant, mais comédien de complément, qu’on ne dit pas cantine mais restaurant de tournage.  Bien plus qu’une BD destinée aux fans de Gainsbourg, “Feuille de chou” est un document passionnant pour tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à l’univers du cinéma.

Livre critiqué dans le cadre du programme Masse Critique de Babelio.

Editions Delcourt 2010, 358 pages, 29,90€
Lu aussi par Lorraine.

Silex and the city (Tome 1: Avant notre ère) – Jul

3 etoiles

Silex and the city

En 40 000 avant JC,  Blog Dotcom, un homo-erectus, vit avec sa femme Spam dans une vallée “qui résiste encore et toujours à l’évolution”. Lui est prof de chasse, elle est prof de préhistoire-géo en ZEP (Zone d’Evolution Prioritaire) et ils ont deux enfants: Leur fils Url est un alter darwiniste radical, et leur fille ainée Web est une fashion victime qui fréquente Rahan de la Petaudière, un aristo-sapiens, fils du patron d’EDF (Energie du Feu, le volcan récemment privatisé).  Blog Dotcom décide de se présenter aux élections de la vallée comme “candidat de l’évolution tranquille”, et tente de convaincre les minorités visibles  (cannibales, néenderthals, grands singes) de voter pour lui.

Le procédé qui consiste à transposer des éléments contemporains dans une autre époque (ici la préhistoire) n’est pas nouveau mais Jul s’en sort plutôt bien avec ce premier tome, en multipliant les détails et les jeux de mots (plus ou moins fins, je vous l’accorde):  Ici on s’abonne au Monde Diplodocus, on rentre à Science-peaux, on croise des profs du secondaire ou du quaternaire, et on finit sa vie à la maison de retraite “Notre Dame du bon fossile”! La politique et l’actualité ont une place de choix  (Jul travaille notamment pour Charlie Hebdo), avec en vrac le mouvement des “sans grottes”, le scandale des caricatures de mammouths, le port du poil à l’école ou le recours à des trappeurs polonais… Silex and the city fonctionne essentiellement sur une succession de gags  qui font mouche,  mais l’histoire elle même  a du mal à tenir sur la longueur: elle manque de densité, de fluidité,  et finit par s’essouffler un peu… Malgré quelques réserves donc, ce premier tome est plutôt sympa, un bon moment de détente!

Editions Dargaud 2009, 48 pages, 13,50€
L’avis de Marie.

The New Yorker, l’humour des livres – Jean-Loup Chiflet


Créé en 1925, le magazine américain The New Yorker a dès ses débuts accordé une large place aux dessins humoristiques. Après avoir rassemblé  Les meilleurs dessins sur la France et les français, Jean-Loup Chiflet a eu la bonne idée de regrouper et de traduire les dessins consacrés à l’univers des livres: Editeurs cyniques, auteurs incompris,  libraires blasés, critiques féroces  ou lecteurs d’un jour… En 300 dessins tout est dit ou presque sur la littérature! Et en mettant en scène notre rapport aux livres, c’est un peu de notre société que ces dessins racontent: la vie de couple, nos relations aux autres, notre incessante quête du bonheur (avec la folie des livres consacrés au développement personnel), la superficialité de notre quotidien,  notre addiction aux nouveaux médias, l’omniprésence de l’argent, du commerce et du marketing qui voudraient dévorer la culture toute crue. Les dessinateurs du New Yorker ont vraiment un talent fou, quelques mots suffisent à faire mouche,  et certaines histoires sans paroles en disent même beaucoup…  Ce livre est un petit bijou qui fera soupirer d’aise tous les amoureux des livres, c’est fin, subtil, bien vu, drôle, saupoudré du délicieux nonsense cher aux anglo-saxons, terriblement riche, trop pour qu’il soit possible de le résumer convenablement. Je ne résiste pas au plaisir de  vous glisser ci-dessous quelques-uns de ces dessins, plus éloquents qu’un long discours!


Editions Les arènes 2009, 189 pages, 24,80€



Et quelques autres à voir ici.

Oh les filles! Emmanuel Lepage & Sophie Michel

Tome 1:
Tome 2:



Cette B.D en deux tomes s’ouvre sur la naissance de trois petites filles: Leïla naît dans un pays du Maghreb, son père travaille en France où sa famille le rejoindra quelques années plus tard. La mère de Chloé, elle, accouche seule dans une maternité parisienne, son compagnon l’a quittée. Quant à Agnès, elle naît dans une famille aisée, mais sa mère se désintéresse d’elle dès sa naissance, et la confie très vite à une nounou… 5 ans, 6 ans, 9 ans, 12 ans, 15 ans, on retrouve Chloé, Leïla et Agnès, devenues amies, à des moments clés de leurs vies.


Issues de milieux sociaux très différents, chacune avec une histoire familiale particulière, ces trois petites filles construisent au fil des années une amitié riche de leurs différences. Il y a des rires, des larmes, des confidences, de la jalousie aussi parfois, de la complicité toujours. J’ai vraiment beaucoup aimé le premier volume qui rend à merveille la fragilité de l’enfance, et la tendresse d’un univers presque exclusivement féminin, ici les hommes, les pères, ne font que passer. Au fil des pages on voit grandir ces trois poulettes, chacune avec ses espoirs, ses rêves (Chloé veut devenir danseuse) et ses tempêtes:  Leïla perdra sa mère très jeune, tandis qu’Agnès tente désespérément de gagner l’affection de la sienne. L’histoire est classique, assez prévisible même, ce qui n’empêche pas les personnages d’être vraiment très attachants.


J’ai été en revanche un peu déçue par le deuxième volume, tant par le dessin, qui se fait plus dur, que par le scénario: Les trois amies abordent les rivages difficiles de l’adolescence, il y a la puberté, les premiers amoureux, l’éveil à la sexualité, les révoltes aussi. Mais il est bien difficile de rendre compte de la richesse et de la complexité de l’adolescence, et à trop vouloir aborder ce thème sous tous ses angles, j’ai trouvé que l’histoire s’éparpillait et perdait un peu de son intérêt, c’est dommage. Malgré un deuxième volume un peu en dessous, Oh les filles reste quand même une jolie B.D sur l’amitié entre filles.


Tome 1: Editions Futuropolis 2008, 62 pages, 15€. Lu aussi par Finette.
Tome 2: Editions Futuropolis 2009, 63 pages, 15€