Catégorie : BD

[Hommage à Charlie Hebdo] Cabu Swing, souvenirs & carnets d’un fou de jazz – Cabu

Ce mercredi les blogueurs littéraires ont voulu rendre hommage aux auteurs de Charlie Hebdo disparus la semaine dernière à leur façon, en vous parlant de leurs livres, parce que c’est encore ce que nous savons faire de mieux.

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Cabu était un grand fan de jazz, en particulier de Swing, et ce beau livre retrace en plus de 200 pages sa passion pour cette musique.  Les festivals qu’il a écumé jusqu’à la fin des années 70, les concerts, ses chroniques à la radio (pour l’émission Le jazz qui déménage sur TSFjazz), les portraits de ses jazzmen préférés, des anecdotes personnelles ou des petites histoires sur l’histoire du jazz… Le livre est très fourni en illustrations, on y retrouve les nombreux dessins de Cabu pour les journaux auxquels il a collaboré durant sa carrière, mais aussi des dizaines de croquis, des affiches, des pochettes de disques… Si le livre est essentiellement consacré au jazz, il y a aussi de petites incursions dans le domaine de la chanson française et  de la pop, Cabu ayant tenu une rubrique sur les yéyés dans Pilote au début des années 60 et côtoyé de nombreux artistes quand il fréquentait les cabarets pour Hara-Kiri ( Gainsbourg, Maxime Leforestier, Brel, Pierre Perret…)

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Si on est loin des caricatures de Charlie Hebdo, et que c’est plutôt la face tendre et passionnée de Cabu qui domine ici, l’humour grinçant n’est jamais loin, comme par exemple cette pochette imaginant une Ella Fitzgerald dans une pose alanguie et sexy… avec les jambes coupées (elle avait été amputée à la fin de sa vie).

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En parallèle Cabu raconte aussi (toujours avec beaucoup de retenue) un peu de sa vie: son enfance à Chalons-sur-Marne et son père fan de Charles Trénet, son arrivée à Paris en 1955 pour devenir dessinateur, son départ pour l’Algérie en 1958 (il y restera 27 mois), sa rencontre avec Cavanna et les débuts d’Hara Kiri. J’y ai aussi appris que Cabu avait été le tout premier dessinateur à travailler pour Le Monde en 1968.

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C’est vraiment un album très beau et très complet pour tous ceux qui aiment le jazz, mais aussi pour ceux qui n’y connaissent rien (c’est mon cas), et qui permet de découvrir une autre facette de Cabu, sans doute moins connu du grand public. Et à la toute dernière page on trouve un croquis de Mano Solo (le fils de Cabu, disparu le 10 janvier 2010) lors de son tout dernier concert à l’Olympia. C’est peu dire que ce dernier dessin délivré ainsi tout en pudeur m’a profondément bouleversée.

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Cabu Swing, souvenirs & carnets d’un fou de jazz, éditions Les échappées 2013, 224 pages.

[BD] Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes? – Zidrou & Roger

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– Comment va Michel?
– Bien. Enfin! Mieux qu’on ne l’aurait jamais espéré. Il vit sa vie, quoi! Avec ses petites misères et ses grandes joies.
– Et vous, Madame Hubeau?
– Moi aussi… Je vis sa vie.

 Catherine Hubeau, veuve, s’occupe seule de son fils Michel, 43 ans, qui souffre d’un important retard mental depuis un accident de voiture. Michel c’est un enfant coincé dans un corps d’adulte, qui aime le chocolat, les jeux vidéos, le dessin animé Hippie Papy, tricher au Puissance 4, mais aussi la bière et les films pornos (il a vu 13 fois Les jumelles perverses).  A 72 ans, Mme Hubeau n’a plus l’âge ni la force physique pour s’occuper de son ‘gros bonhomme en chocolat’, capable de piquer des colères retentissantes parce qu’il ne trouve pas son T-shirt préféré à sa place habituelle. Pourtant chaque jour elle répète inlassablement les mêmes gestes, les mêmes mots, les petits rituels qui rassurent Michel.

Cette BD au titre énigmatique raconte donc l’histoire de Mme Hubeau et de Michel sous forme de petites scènes quotidiennes.  Ayant moi-même un frère handicapé, j’ai été profondément touchée par la justesse des émotions: c’est un récit qui retranscrit parfaitement ce que peut être la vie d’un adulte souffrant de ce type de handicap, et la complexité des sentiments que ses proches peuvent éprouver.

Il y a des moments de découragement, des envies de liberté, la tentation parfois de tourner les talons. Il y a le décalage entre le regard extérieur même s’il est bienveillant (Michel trouve toujours quelqu’un pour disputer une partie de Puissance 4) et les difficultés quotidiennes (Sa mère est seule quand il fait un malaise sous la douche ou pour affronter ses colères dévastatrices). Il y a les regrets, de ce que la vie de son fils aurait pu être sans cet accident, et la culpabilité.

Mais il y a aussi les moments de tendresse et de complicité, les petits bonheurs quotidiens, cette relation fusionnelle et unique entre une mère et son fils.  Si le handicap est le sujet principal, il est aussi beaucoup, et surtout, question d’amour maternel (c’est d’ailleurs dans ce sens que je comprends le titre). C’est beau, c’est triste, mais c’est drôle aussi parfois, je vous rassure, par exemple  quand Mme Hubeau va emprunter avec la plus grande décontraction un DVD porno sous les yeux affolés d’un client lambda. Les dessins participent grandement à la réussite de cet album, beaucoup de sentiments passent par les attitudes des personnages, les proportions (Michel a une stature impressionnante alors que sa mère est toute petite) et les regards (les grands yeux ronds de Mme Hubeau sont  particulièrement expressifs).

Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes? est vraiment un concentré d’émotions, le magnifique portrait d’une mère courage. Vous l’aurez compris, pour moi c’est un grand, énorme coup de cœur.

Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes? de Zidrou & Roger, éditions Dargaud septembre 2013 – 5 étoiles

Challenge petit bac 2014

[BD] Le train des orphelins – Xavier Fourquemin & Xavier Charlot

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Cette série s’inspire de faits réels: Entre 1853 et 1929, environ 250.000 enfants des rues de New York (qui n’étaient pas tous orphelins) furent envoyés vers l’Ouest pour y être adoptés.  Ces enfants étaient souvent considérés comme de la main d’œuvre bon marché dans des zones rurales qui avaient besoin de bras.

Le déroulement de ces adoptions sauvages sont ici très bien décrites: de ville en ville on installait les enfants sur un podium (en les faisant éventuellement chanter ou danser) pour que de potentiels adoptants puissent les observer sous toutes les coutures, un peu comme dans une foire aux bestiaux. Les fratries étaient séparées, les handicapés rejetés. On incitait les enfants à oublier leur passé, on leur confisquait leurs photos ou leurs souvenirs.

La série Le train des orphelins compte 3 tomes pour l’instant, divisés en deux cycles. Le 1er cycle est composé du tome 1 (Jim) et du tome 2 (Harvey), le 2ème cycle du tome 3 (Lisa) et d’un tome 4 qui paraîtra le 12 mars prochain (Joey). Un 3ème cycle serait également prévu.

Dans les deux premiers tomes on suit Jim, qui vit dans un orphelinat new-yorkais en 1920, et qui s’apprête à prendre l’un de ces trains pour l’ouest avec son petit frère Joey. Il ne perd pourtant pas l’espoir que leur père pourra – voudra – les récupérer dans un avenir proche. Sur sa route il va croiser le jeune Harvey et son destin en sera changé à jamais. Que s’est-il passé entre les deux enfants pour que Jim ressente le besoin d’une ultime confrontation avec Harvey près de 70 ans plus tard? Le 3ème tome s’attache aux pas de Lisa, une jeune fille qui n’était pas destinée à être adoptée, elle devait s’occuper des plus petits, mais elle est embarqué par une brute épaisse qui veut l’épouser. Elle va s’enfuir, emmenant malgré elle Joey, le petit frère de Jim.

J’ignorais l’existence de ces orphan trains , et de cette histoire incroyable et douloureuse, les auteurs ont su tirer une BD vraiment passionnante et émouvante. On y suit les personnages enfants mais aussi une fois devenus adultes,  et on y partage la difficulté que rencontre Jim notamment quand il décide d’entamer des recherches sur son passé. J’ai adoré l’histoire, pleine de rebondissements, le dessin très dynamique, et les personnages particulièrement attachants. Bref c’est un vrai coup de coeur!

Les Etats-Unis n’a pas été le seul pays à mettre en place ce genre de pratique: Entre 1963 et 1982, 1 630 enfants réunionnais ont été ainsi déplacés dans les campagnes françaises, notamment dans la Creuse. Le 18 février 2014 l’assemblée nationale a reconnu la responsabilité de l’Etat français dans l’affaire dite “des Enfants de la Creuse”.

 Le train des orphelins, tomes 1 à 3, Bamboo éditions  – 5 étoiles

 

Challenge petit bac 2014

[BD] Polina – Bastien Vivès

Il faut être souple si vous voulez espérer un jour devenir danseuse. Si vous n’êtes pas souple à 6 ans, vous le serez encore moins à 16 ans. La souplesse et la grâce ne s’apprennent pas. C’est un don. Suivante… ” Polina Oulinov, jeune danseuse russe de 6 ans, intègre une prestigieuse école de danse. Au fil des années, elle devra faire des choix difficiles pour trouver son  chemin et sa vérité d’artiste.

« Polina » est une immersion totale dans l’univers de la danse, sur l’exigence physique et morale qu’elle implique. « Même si tu as mal, surtout, ne le montre pas », c’est le terrifiant conseil que la petite fille reçoit de sa mère dès la 1ere page, alors qu’elle se rend à une audition.  J’ai beaucoup aimé suivre le cheminement artistique de cette jeune  danseuse très attachante: C’est une histoire de passion, de souffrance, de déceptions, de doutes, de dépassement de soi. Au cœur de cet album il y a aussi et surtout la relation de la danseuse avec son professeur, son mentor, l’intimidant Nikita  Bojinski. Une relation de travail et de rigueur qui laissera peu à peu place à un respect réciproque  et à une certaine tendresse (les dernières pages sont très émouvantes)

C’est le 3ème album de Bastien Vivès que je lis (Après Le goût du chlore et Dans ses yeux), et on y retrouve bien sa patte, son goût notamment pour la décomposition des mouvements et le décryptage des émotions. Au niveau du scénario j’ai trouvé que cet album était plus abouti que les précédents, l’histoire est plus solide. Le dessin a lui aussi évolué, vers le noir et blanc d’abord (alors que la couleur était vraiment mise en avant dans ses autres albums), et il est plus épuré.  Il y a beaucoup de flous, certains traits, certains visages sont gommés. De ce point de vue j’avais préféré les albums précédents… J’ai aussi regretté le manque de repères temporels dans les premières pages, on a du mal à savoir l’age de Polina (il y a de grands sauts dans le temps). Malgré ces quelques réserves, « Polina » est vraiment un très bel album, sensible et délicat.

Editions Casterman (KSTR) 2011, 206 pages/

BD: Feuille de chou (journal d’un tournage) – Mathieu Sapin

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En janvier 2010 est sorti le film “Gainsbourg, vie héroïque”, réalisé par Joann Sfar. Auteur de B.D. lui-même, il était naturel qu’il associe d’une façon ou d’une autre le monde de la B.D. à ce projet. Il a donc confié à un autre dessinateur, Mathieu Sapin, le soin de dessiner une sorte de making-off du film. Les repérages, les essais de costumes, la construction des décors, l’enregistrement de la musique, les coulisses du tournage lui même, Mathieu Sapin a donc eu le privilège pendant plusieurs mois de suivre cette aventure  de A à Z.

“Gainsbourg, Vie héroïque” bénéficiait d’un bien beau casting et on croise au fil des pages les nombreux acteurs qui ont participé à ce film, Eric Elmosnino, Laetitia Casta, Claude Chabrol, Anna Mouglalis, Sara Forestier, François Morel, Yolande Moreau ou Lucy Gordon… Mais ce qui est le plus intéressant c’est bien sûr le coté hors-champ que nous fait partager Mathieu Sapin, les conversations off, les rumeurs, les tensions, les blagues entre techniciens, la difficulté à faire tourner des enfants ou les animaux, les contretemps, les incidents, les anecdotes,  les secrets des effets spéciaux, les relations avec les médias ou la production.  “Feuille de chou” est un album très riche, incroyablement détaillé, bien plus qu’un making-off traditionnel.  Mathieu Sapin ayant saisi la majorité de ses dessins “sur le vif”, l’ensemble est un peu brouillon et peut-être parfois  fastidieux à décrypter:  Certaines pages sont très chargées, il n’y a pas toujours de cohérence entre deux dessins, il a aussi rajouté pas mal d’annotations dans tous les sens ou a rayé des éléments compromettants pour certains protagonistes.

Mais on apprend vraiment beaucoup de choses sur la façon dont se déroule un tournage, tous les métiers qui s’y côtoient, en quoi consiste exactement le travail de script par exemple, ce qu’est un steady cam ou un combo. Qu’on ne dit pas figurant, mais comédien de complément, qu’on ne dit pas cantine mais restaurant de tournage.  Bien plus qu’une BD destinée aux fans de Gainsbourg, “Feuille de chou” est un document passionnant pour tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à l’univers du cinéma.

Livre critiqué dans le cadre du programme Masse Critique de Babelio.

Editions Delcourt 2010, 358 pages, 29,90€
Lu aussi par Lorraine.