Catégorie : 5 étoiles – Coups de coeur

Odette Froyard en trois façons d’Isabelle Monnin : une enquête familiale

Odette Froyard en trois façons - Isabelle Monnin

“Il n’y a de femme invisible que pour ceux qui regardent mal”. 

Près de 30 ans après sa mort, Isabelle Monnin entreprend de dresser le portrait de sa grand-mère. Quelle empreinte a donc laissé cette femme discrète, qui ne parlait jamais d’elle-même et préférait se consacrer au bien-être des autres ? Les souvenirs d’enfance ne vont finalement laisser qu’un grand sentiment de frustration à l’autrice : certes Odette était aimée, mais encore ? Qui était-elle vraiment, en dehors de son statut d’épouse et de mère ? Isabelle Monnin s’engage alors dans une véritable enquête familiale et généalogique

Y-a-t’il toujours de l’extraordinaire dans l’ordinaire ? Isabelle Monnin en est persuadée. Alors elle fouille inlassablement dans la vie d’Odette, interroge ceux qui restent, met à jour des secrets de famille. Et pour que l’on n’oublie pas Odette, elle s’arrange parfois un peu avec la réalité, se servant de son talent de romancière dans la dernière partie pour combler les fissures qui restent malgré son minutieux travail de recherche. Odette Froyard en trois façons est un livre cousu à petits points délicats, dans lequel l’autrice invoque aussi les autres fantômes de sa vie, son fils et sa sœur, pour l’accompagner sur le chemin de la mémoire. J’ai beaucoup aimé ce roman très émouvant, qui m’a parfois fait penser (de par l’enquête familiale, la période de la 2ème guerre mondiale, et cette envie de redonner leur entière place aux disparus) à un autre roman adoré, La carte postale d’Anne Berest. 

Odette Froyard en trois façons (clic)* d’Isabelle Monnin, éditions Gallimard 2024, 272 pages

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Les guerres de Lucas – Prix BD Fnac / France Inter 2024

Les guerres de Lucas

Les guerres de Lucas retrace le chemin de croix de George Lucas pour que le premier Star Wars voit le jour. A l’époque personne ne croit vraiment à ce projet farfelu de science-fiction, à commencer par les producteurs de la Fox, qui rechignent à signer le contrat de financement.  Du scénario que Lucas ne cesse de remodeler jusqu’au casting laborieux (il a auditionné plus de 2000 candidats en 3 semaines pour les rôles principaux) en passant par les effets spéciaux inédits qui lui donneront bien du fil à retordre, cette BD passionnante retrace toutes les péripéties de ce premier volet, et dévoile quelques secrets de tournage. Nul besoin d’être un fan inconditionnel de Star Wars (mieux vaut avoir vu le film quand même) pour apprécier cette BD richement documentée qui nous plonge dans une période en or du cinéma américain (on y croise aussi Brian de De Palma, Steven Spielberg ou Francis Ford Coppola). 

Plus que l’histoire d’un film, ce roman graphique est également le portrait d’un réalisateur qui n’est alors qu’aux portes de la célébrité (American Graffiti vient de rencontrer un succès inattendu). G. Lucas était un enfant rêveur et rebelle qui deviendra un étudiant brillant, passé près de la mort après un accident de voiture. S’il a une imagination débordante, c’est en revanche un réalisateur taiseux, au tempérament parfois maniaque et obsessionnel, qui a souvent du mal à se faire respecter par ses équipes. Cette BD redonne également la place qu’elle mérite à Marcia, première épouse de Lucas, femme de l’ombre et soutien inconditionnel, même dans les périodes les plus difficiles. 

Les guerres de Lucas a reçu le Prix BD Fnac – France Inter 2024

Les guerres de Lucas (clic)* de Laurent Hopman & Renaud Roche, Deman éditions 2023, 208 pages

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“La fille de Lake Placid” de Marie Charrel : la rencontre entre Joan Baez & Lana Del Rey

La fille de Lake Placid

En 2019, Lana Del Rey invite Joan Baez à partager un duo avec elle sur une scène de San Francisco. Marie Charrel a imaginé les circonstances de cette rencontre improbable, tant les deux femmes semblent différentes. La fille de Lake Placid retrace principalement la jeunesse de Lana Del Rey et son long chemin jusqu’au succès. Au début des années 90, celle qui n’est alors que la petite Elizabeth Grant aime se réfugier dans la forêt, avant de découvrir l’alcool et la poésie à l’adolescence. Du côté de Joan Baez, l’autrice évoque surtout les dernières semaines avant le duo : la chanteuse engagée a renoncé depuis longtemps à la musique, et vit désormais dans une ferme de Californie. Elle consacre son temps libre à la peinture et refuse toutes les sollicitations. Il faudra beaucoup de persévérance à Lana pour la convaincre de chanter avec elle.

Entre faits réels et scènes fictives, Marie Charrel dresse un portrait sensible de Lana del Rey, une jeune femme lumineuse qui a appris à composer avec ses parts d’ombre : si elle est d’une détermination sans faille, elle tombe très jeune dans l’addiction à l’alcool. D’un pensionnat du Connecticut aux Open Mic des bars de New-York, Elizabeth va se construire un véritable personnage, à la fois sexy et éthéré, très marqué par l’histoire des Etats-Unis, entre pop culture et décadence. Marie Charrel s’est amusée par ailleurs à lui inventer un monde onirique à sa mesure, avec des passages inspirés de l’univers de David Lynch et de Twin Peaks. Lana y  croise des personnages fantasmagoriques, nain, voyante, fétichistes ou encore “la femme à la bûche” (l’une de mes scènes préférées).

La fille de Lake Placid est un bonbon acidulé à l’atmosphère vaporeuse, une lecture délicate et poétique, ponctuée d’extraits de chansons et du recueil de Lana Del Rey, Violette sur l’herbe à la renverse *. Un livre que j’ai eu beaucoup de plaisir à lire, et qui n’est pas réservé aux fans des deux chanteuses.

La fille de Lake Placid * de Marie Charrel, janvier 2024, 278 pages.

Ce livre est publié dans la collection “Les audacieuses” des éditions Les Pérégrines, qui raconte de façon romancé la trajectoire de femmes inspirantes, comme Maria Callas, Greta Garbo ou Rose Valland.

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“Pablo” ou la jeunesse de Picasso

Pablo

Cette version intégrale de Pablo regroupe 4 bandes-dessinées publiées entre 2012 et 2014. On y suit Pablo Picasso, depuis son arrivée à Paris en 1900, ainsi que Fernande Olivier : cette jeune femme est devenu modèle pour subvenir à ses besoins et échapper à son mari violent. Celle que l’on surnommera plus tard la “Belle Fernande” sera le premier amour et la muse du peintre espagnol, à qui elle inspirera des centaines de peintures.  Picasso se lie aussi d’amitié avec le fidèle Max Jacob, poète, astrologue à ses heures perdues, et secrètement amoureux du peintre. Il rencontre également Guillaume Apollinaire ou George Braque, co-fondateur du cubisme. Aucun d’eux n’est encore connu, et ils mènent alors une vie de bohème,  rythmée par les fêtes, le sexe et les substances illicites.

Truffée d’anecdotes, cette BD adopte le point de vue de Fernande Olivier. C’est elle qui nous fait entrer dans le quotidien du jeune Pablo avant qu’il ne devienne Picasso. Cet ouvrage se nourrit de la vie du peintre pour en faire un véritable personnage de BD. Pendant ces premières années parisiennes, Pablo cherche d’abord son style, et puis dans la dernière partie on suit la genèse des Demoiselles d’Avignon (dont le premier titre était Le bordel), qui signera le début du succès.

Picasso et Fernande rencontrent les marchands d’art Leo et Gertrude Stein, ou encore Matisse, ce “cher maître” avec qui la concurrence est féroce. Tout au long de la BD c’est un défilé de poètes et de peintres : certains deviendront célèbres, beaucoup connaîtront un destin tragique. Picasso, Fernande, Max Jacob, Apollinaire, Marie Laurencin, Braque et tant d’autres lient leurs existences dans un Paris en pleine ébullition culturelle entre l’exposition universelle, la création du bateau-lavoir à Montmartre, et le salon des artistes indépendants qui voit émerger une nouvelle génération de peintres. Quelle époque !

Pablo est une excellente BD, avec de l’humour et du rythme, qui séduira aussi bien ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’art que ceux qui ont juste envie de passer un bon moment avec des personnages hauts en couleur.

Pablo, en en version poche (Dargaud, juin 2022, 352 pages). Il existe aussi une version intégrale brochée et il est possible d’acheter le tome 1, le tome 2, le tome 3 et le tome 4 séparément.*

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[Album Jeunesse] Les affreux chandails de Lester – K.G. Campbell

 

les affreux chandails de Lester

Alors que la maison de Cousine Clara a été mangée par un crocodile, elle doit s’installer avec la famille de Lester (même si personne ne sait au juste de qui Cousine Clara est la cousine). Elle se met alors à  tricoter des chandails au petit garçon. Lui qui avait l’habitude d’être toujours tiré à quatre épingles, si fier de sa cravate nouée, et de ses cheveux bien brossés, le pauvre enfant se retrouve affublé d’un premier chandail jaune avec des pompons violets, à la fois ratatiné et pendant, troué là où il ne fallait pas et fermé là où il devait être troué. Et en plus il va devoir mettre cet AFFREUX chandail pour aller à l’école, ce qui va lui attirer les moqueries d’Enid Measles. Quand le chandail est retrouvé tout rétréci dans le panier à linge (ouf), Cousine Clara lui tricote un nouveau chandail ABOMINABLE, rose dérangeant, avec plein de petites poches placées à l’envers un peu partout…

Les affreux chandails de Lester 1

Et ainsi de suite, à chaque fois que Lester trouve une façon de se débarrasser d’un chandail, Cousine Clara lui en tricote un encore plus affreux que le précédent. Cet album joue sur le comique de répétition : un sort funeste attend chaque chandail de Lester, qui rivalise d’imagination pour que cela ait l’air d’un tragique accident (celui-ci est déchiqueté par la tondeuse, celui-là tombe dans les égouts, un autre est volé par des bandits de grand chemin…) mais chaque chandail détruit est aussitôt remplacé par une nouvelle création de Cousine Clara.

Les affreux chandails de Lester 2

Quel régal que cet album à l’univers loufoque et absurde (qui n’est pas sans rappeler celui de Roald Dahl je trouve) dans lequel les crocodiles mangent les maisons et où les chandails se font picorer par des autruches déchaînées. Les illustrations à l’ancienne (tout comme la police d’écriture), sont délicieuses, le vocabulaire recherché et le style ciselé. Et puis je suis tombée totalement sous le charme de Lester, petit garçon curieux qui collectionne les objets trouvés, dresse des listes de choses suspectes commençant par un C (Chenilles, Choux, Chats, Clowns…) et de choses puantes commençant par un B, ou aime mesurer ses chaussettes afin qu’elles soient bien à la même hauteur. Un grand, grand coup de cœur!

Les affreux chandails de Lester 3

Les affreux chandails de Lester de K.G. Campbell, éditions de La Pastèque, Collection Pamplemousse.

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