Catégorie : 5 étoiles – Coups de coeur

[Roman] La route du Cap – Jennifer McVeigh

Fin du XIXe: A la mort de son père criblé de dettes Frances se retrouve sans ressources et doit accepter la demande en mariage d’un jeune médecin, Edwin, installé en Afrique du Sud. Sur le bateau qui l’emmène vers ce pays inconnu et ce futur mari qu’elle n’aime pas, elle tombe amoureuse du séduisant William Westbrook.

Il m’a fallu un peu de temps pour m’attacher à Frances, jeune femme gâtée et naïve, et William et Edwin, les deux hommes de l’histoire, sont difficiles à cerner. Après un début un peu lent, c’est finalement quand Frances débarque enfin dans son pays d’adoption que je me suis totalement laissée embarquée par cette lecture.  A mille lieux de sa vie londonienne, Frances va découvrir les multiples visages de l’Afrique du Sud, de l’isolement du Veld aux quartiers miteux de la ville de Kimberley, les conditions déplorables de l’exploitation des mines de diamants (avec des ouvriers maintenus dans un quasi-esclavage) et la menace de la variole.

La route du Cap est le très beau portrait d’une femme dont les expériences successives vont forger le caractère. Avant de faire un choix entre le flamboyant William et le discret Edwin, Frances devra d’abord apprendre à se connaître elle-même. C’est un magnifique récit sur la peur et le courage, et surtout l’une des plus jolies histoires d’amour que j’ai pu lire récemment. J’ai dévoré les 300 dernières pages d’une traite, et après avoir tourné la dernière page, j’ai aussitôt regretté de n’avoir pas fait durer le plaisir un peu plus longtemps. C’est je crois le seul roman de Jennifer McVeigh à ce jour mais j’espère qu’il y en aura beaucoup d’autres !

La route du Cap, éditions Le livre de poche mai 2014, 552 pages – 5 étoiles

[BD] Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes? – Zidrou & Roger

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– Comment va Michel?
– Bien. Enfin! Mieux qu’on ne l’aurait jamais espéré. Il vit sa vie, quoi! Avec ses petites misères et ses grandes joies.
– Et vous, Madame Hubeau?
– Moi aussi… Je vis sa vie.

 Catherine Hubeau, veuve, s’occupe seule de son fils Michel, 43 ans, qui souffre d’un important retard mental depuis un accident de voiture. Michel c’est un enfant coincé dans un corps d’adulte, qui aime le chocolat, les jeux vidéos, le dessin animé Hippie Papy, tricher au Puissance 4, mais aussi la bière et les films pornos (il a vu 13 fois Les jumelles perverses).  A 72 ans, Mme Hubeau n’a plus l’âge ni la force physique pour s’occuper de son ‘gros bonhomme en chocolat’, capable de piquer des colères retentissantes parce qu’il ne trouve pas son T-shirt préféré à sa place habituelle. Pourtant chaque jour elle répète inlassablement les mêmes gestes, les mêmes mots, les petits rituels qui rassurent Michel.

Cette BD au titre énigmatique raconte donc l’histoire de Mme Hubeau et de Michel sous forme de petites scènes quotidiennes.  Ayant moi-même un frère handicapé, j’ai été profondément touchée par la justesse des émotions: c’est un récit qui retranscrit parfaitement ce que peut être la vie d’un adulte souffrant de ce type de handicap, et la complexité des sentiments que ses proches peuvent éprouver.

Il y a des moments de découragement, des envies de liberté, la tentation parfois de tourner les talons. Il y a le décalage entre le regard extérieur même s’il est bienveillant (Michel trouve toujours quelqu’un pour disputer une partie de Puissance 4) et les difficultés quotidiennes (Sa mère est seule quand il fait un malaise sous la douche ou pour affronter ses colères dévastatrices). Il y a les regrets, de ce que la vie de son fils aurait pu être sans cet accident, et la culpabilité.

Mais il y a aussi les moments de tendresse et de complicité, les petits bonheurs quotidiens, cette relation fusionnelle et unique entre une mère et son fils.  Si le handicap est le sujet principal, il est aussi beaucoup, et surtout, question d’amour maternel (c’est d’ailleurs dans ce sens que je comprends le titre). C’est beau, c’est triste, mais c’est drôle aussi parfois, je vous rassure, par exemple  quand Mme Hubeau va emprunter avec la plus grande décontraction un DVD porno sous les yeux affolés d’un client lambda. Les dessins participent grandement à la réussite de cet album, beaucoup de sentiments passent par les attitudes des personnages, les proportions (Michel a une stature impressionnante alors que sa mère est toute petite) et les regards (les grands yeux ronds de Mme Hubeau sont  particulièrement expressifs).

Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes? est vraiment un concentré d’émotions, le magnifique portrait d’une mère courage. Vous l’aurez compris, pour moi c’est un grand, énorme coup de cœur.

Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes? de Zidrou & Roger, éditions Dargaud septembre 2013 – 5 étoiles

Challenge petit bac 2014

[BD] Le train des orphelins – Xavier Fourquemin & Xavier Charlot

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Cette série s’inspire de faits réels: Entre 1853 et 1929, environ 250.000 enfants des rues de New York (qui n’étaient pas tous orphelins) furent envoyés vers l’Ouest pour y être adoptés.  Ces enfants étaient souvent considérés comme de la main d’œuvre bon marché dans des zones rurales qui avaient besoin de bras.

Le déroulement de ces adoptions sauvages sont ici très bien décrites: de ville en ville on installait les enfants sur un podium (en les faisant éventuellement chanter ou danser) pour que de potentiels adoptants puissent les observer sous toutes les coutures, un peu comme dans une foire aux bestiaux. Les fratries étaient séparées, les handicapés rejetés. On incitait les enfants à oublier leur passé, on leur confisquait leurs photos ou leurs souvenirs.

La série Le train des orphelins compte 3 tomes pour l’instant, divisés en deux cycles. Le 1er cycle est composé du tome 1 (Jim) et du tome 2 (Harvey), le 2ème cycle du tome 3 (Lisa) et d’un tome 4 qui paraîtra le 12 mars prochain (Joey). Un 3ème cycle serait également prévu.

Dans les deux premiers tomes on suit Jim, qui vit dans un orphelinat new-yorkais en 1920, et qui s’apprête à prendre l’un de ces trains pour l’ouest avec son petit frère Joey. Il ne perd pourtant pas l’espoir que leur père pourra – voudra – les récupérer dans un avenir proche. Sur sa route il va croiser le jeune Harvey et son destin en sera changé à jamais. Que s’est-il passé entre les deux enfants pour que Jim ressente le besoin d’une ultime confrontation avec Harvey près de 70 ans plus tard? Le 3ème tome s’attache aux pas de Lisa, une jeune fille qui n’était pas destinée à être adoptée, elle devait s’occuper des plus petits, mais elle est embarqué par une brute épaisse qui veut l’épouser. Elle va s’enfuir, emmenant malgré elle Joey, le petit frère de Jim.

J’ignorais l’existence de ces orphan trains , et de cette histoire incroyable et douloureuse, les auteurs ont su tirer une BD vraiment passionnante et émouvante. On y suit les personnages enfants mais aussi une fois devenus adultes,  et on y partage la difficulté que rencontre Jim notamment quand il décide d’entamer des recherches sur son passé. J’ai adoré l’histoire, pleine de rebondissements, le dessin très dynamique, et les personnages particulièrement attachants. Bref c’est un vrai coup de coeur!

Les Etats-Unis n’a pas été le seul pays à mettre en place ce genre de pratique: Entre 1963 et 1982, 1 630 enfants réunionnais ont été ainsi déplacés dans les campagnes françaises, notamment dans la Creuse. Le 18 février 2014 l’assemblée nationale a reconnu la responsabilité de l’Etat français dans l’affaire dite “des Enfants de la Creuse”.

 Le train des orphelins, tomes 1 à 3, Bamboo éditions  – 5 étoiles

 

Challenge petit bac 2014

[Roman] Esprit d’hiver – Laura Kasischke

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Comme chaque année Holly s’apprête à recevoir sa belle-famille et quelques amis pour le repas de Noël. Mais cette fois rien ne se déroule comme d’habitude. Holly et son mari Eric  ont un peu abusé du lait de poule la veille au soir et ne se sont pas réveillés à temps ce matin, Eric est en retard pour aller chercher ses parents à l’aéroport, la neige menace la bonne organisation de la journée, et leur fille Tatiana, adoptée 13 ans plus tôt dans un orphelinat russe, semble quant à elle d’humeur belliqueuse. Et surtout depuis son réveil Holly a une petite phrase dans la tête qui la poursuit comme une obsession,  Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux

Un nouveau roman de Laura Kasischke est toujours pour moi un évènement car elle est devenue au fil des années mon auteur fétiche. J’ai désormais lu presque toute son œuvre (à part Un oiseau blanc dans le blizzard) je vous ai d’ailleurs déjà parlé sur ce blog de Les revenants ou de La vie devant ses yeux (adapté au cinéma avec Uma Thurman dans le rôle principal).

Esprit d’hiver est un huis-clos glaçant qui tourne autour de la confrontation entre une mère et sa fille adolescente. Le récit alterne le moment présent – cette matinée de Noël où rien ne se passe comme prévu – et les souvenirs d’Holly, principalement ce voyage en Sibérie bien des années plus tôt pour aller chercher sa fille adoptive. Laura Kasischke arrive à créer une impalpable sensation de malaise tout au long du roman, sans qu’on arrive à savoir précisément d’où elle vient. La menace plane, chaque détail du quotidien devient une insupportable source d’angoisse: Un rôti qui cuit, un verre qui se casse, un téléphone qui sonne, la neige qui tombe suffisent à mettre les nerfs du lecteur à rude épreuve.

Holly, Eric et Tatiana forment la famille typique de la middle-class américaine telle qu’on l’imagine,  attachée aux convenances et aux traditions, aux apparences qu’il faut sauvegarder à tout prix, vivant dans le souci de toujours faire ce que l’on attend d’eux. Mais dès que l’on gratte un peu, le vernis craque: Les invités que finalement Holly n’aime pas vraiment, une lourde histoire familiale marquée par la maladie, une vocation frustrée d’écrivain…

Certains lecteurs  ont trouvé ce roman plat ou ennuyeux. Pour apprécier toute la dimension de ce roman, je crois qu’il faut d’abord accepter de s’ennuyer un peu, parce qu’effectivement il ne s’y passe rien ou presque. La récompense c’est la chute, vertigineuse, poignante, qui remet en perspective tout le roman.  Thriller psychologique, drame familial, récit fantastique, Esprit d’hiver est un roman étouffant, oppressant, suffoquant, avec cette idée sous-jacente, qui revient dans tous les romans de Kasischke, que chacun est responsable de son destin et de ses (mauvais) choix. Le style de Laura Kasischke exerce toujours sur moi la même fascination (Comment arrive-t-elle à en dire tant sur l’âme humaine avec une telle économie de moyens?) et ce  roman brillant confirme pour moi qu’elle est l’un des plus grands écrivains actuels.

Esprit d’hiver, éditions Bourgois août 2013, 276 pages – 5 étoiles
Lu dans le cadre des Matchs Littéraires de Priceminister. Ma note: 17/20

Challenge 50 états, 50 billets (Michigan)

[Pop-up] La maison hantée – Jan Pienkowski

la maison hantée

 J’adore les livres-jeux, à rabats, les tirettes, les pop-up… Je m’en donne à cœur joie avec les livres de ma fille, mais celui-là il n’est que pour moi (parce qu’il fait un-peu-peur quand même).

La maison hantée de Jan Pienkowski est un grand classique, publié pour la 1ère fois en 1979 et réédité récemment par les éditions Nathan. Il n’y a pas vraiment d’histoire (une personne que l’on ne voit pas guide un médecin dans sa maison particulièrement lugubre) ou en tous cas elle n’est qu’un prétexte pour visiter une à une les pièces de cette maison hantée.

Dès l’entrée le ton est donné avec un tableau qui semble vous suivre du regard, les placards de la cuisine cachent des mets peu ragoutants et la salle de bains est occupée par de drôles de bestioles. Dans la chambre je vous déconseille d’ouvrir l’armoire ou d’entrouvrir le rideau du baldaquin… Bouh! Et que veut donc ce maudit chat noir qui les suit partout? La visite du docteur s’achèvera (littéralement) dans le grenier. Un pop-up baroque et terrifiant, qui fourmille de détails et de surprises (n’oubliez pas de jeter un oeil par la fenêtre), j’ai adoré!

la maison hantée entrée la maison hantée salle de bains

La maison hantée de Jan Pienkowski, éditions Nathan, 12 pages (à partir de 4 ans environ) – 5 étoiles
Challenge Je lis aussi des albums 2013