Catégorie : 4 étoiles – Recommandés

Je suis leur silence de Jordi Lafebre : un polar à Barcelone

Je suis leur silence

Eva Rojas, jeune psychiatre espagnole, doit répondre aux questions d’un de ses confrères, le Dr Lull, avant de pouvoir reprendre son activité professionnelle. Elle entreprend de lui raconter sa semaine passablement agitée : alors qu’elle devait soutenir son amie (et patiente) Penelope lors de la lecture du testament de sa grand-mère, l’un des convives est retrouvé mort. L’occasion pour Eva de se lancer dans une enquête échevelée. Mais la famille de Penelope, qui a fait fortune dans le milieu du vin, ne voit pas la présence d’Eva d’un bon œil.

J’avais beaucoup aimé la précédente BD du dessinateur espagnol Jordi Lafebre, Malgré tout, une histoire d’amour à rebours dans le temps. Ce nouveau titre est complètement différent puisqu’il s’agit d’un polar. Jordi Lafebre est particulièrement doué pour camper des personnages pétillants : si vous avez lu “Malgré tout”, vous vous souvenez forcément d’Anna et Zeno. Ici c’est le personnage d’Eva et son petit grain de folie qui font tout le charme de cette nouvelle BD. Impossible de résister à cette psychiatre bipolaire et sans filtre, accompagnée dans son enquête par les fantômes de ses aïeules espagnoles ! On ne peut qu’être fasciné par ses courbes parfaites, ses cheveux blonds ébouriffés, ses tatouages et son tempérament malicieux. Même si j’ai trouvé l’intrigue un peu trop classique, j’ai beaucoup apprécié cette BD pleine d’humour, au rythme trépidant

Je suis leur silence (clic)* de Jordi Lafebre, éditions Dargaud 2023, 112 pages

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Fabriquer une femme de Marie Darrieussecq : chronique de deux adolescences

 

Fabriquer une femme - Marie Darrieussecq

Rose et Solange sont deux adolescentes qui grandissent dans les années 80 à Clèves, une petite ville du Pays Basque. Rose est une jeune fille plutôt rangée et raisonnable. Elle forme déjà un mignon petit couple avec Christian mais se demande quand même si c’est “le bon”. Solange (personnage déjà croisé dans Clèves, un autre roman de Marie Darieussecq) habite en face de chez Rose. Issue d’un milieu modeste, elle a un tempérament plus rebelle et rêve déjà d’autres horizons. Leurs caractères très différents n’empêchent pas Rose et Solange d’être amies. Pourtant quand Solange tombe enceinte à 15 ans, les deux jeunes filles vont prendre des trajectoires radicalement opposées. 

Ce roman est construit en deux temps : dans la première partie du livre on suit d’abord Rose de son adolescence jusqu’à ses premiers pas dans l’âge adulte. Puis dans la deuxième moitié on adopte le point de vue de Solange, revenant parfois sur les mêmes événements, mais perçus de façon différente. 

J’ai beaucoup aimé ce roman, d’abord parce que les deux personnages sont de la même génération que moi, j’y ai donc retrouvé une ambiance et des souvenirs de mon adolescence dans les années 80/90. J’ai quand même préféré la première partie, celle autour de Rose. La 2e moitié autour du personnage de Solange m’a semblé plus caricaturale et un peu répétitive, même si c’est aussi là que le roman s’ancre le plus dans son époque, avec notamment l’apparition du Sida. Malgré ce petit bémol, Fabriquer une femme reste un roman très agréable à lire sur cette période charnière qu’est l’adolescence. 

Fabriquer une femme (clic)* de Marie Darrieussecq, éditions P.O.L 2024, 336 pages

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Les petites reines de Magali Le Huche, d’après Clémentine Beauvais

Les petites reines en BD

Astrid, Hakima et Mireille ont été respectivement élues Boudin d’or, Boudin d’argent et Boudin de bronze du collège Marie Darrieussecq de Bourg-en-Bresse. Loin de se laisser abattre par ce trophée qui lui a été décerné par Malo, son ami d’enfance, Mireille entraîne ses deux camarades d’infortune dans un projet un peu fou : rallier Paris en vélo pour s’inviter à la garden-party de l’Elysée le 14 juillet. Et pour financer leur voyage, et bien elles vendront… du boudin. 

Les petites reines est à l’origine un roman jeunesse de Clémentine Beauvais, adapté ici par Magalie Le Huche. Si cette BD aborde des sujets difficiles comme le harcèlement scolaire, la grossophobie ou le handicap, c’est malgré tout une lecture légère, fraîche et vivifiante grâce à l’auto-dérision et au dynamisme de l’incroyable Mireille. Les personnages sont tous très attachants et vont apprendre à se connaître tout au long de ce chemin semé d’embûches, construisant une amitié solide grâce à leur générosité, leur sens de l’effort et du partage. Une BD jeunesse touchante et pleine d’humour : n’hésitez pas à la piquer aux enfants ! 

Les petites reines (clic)* de Magali Le Huche, d’après Clémentine Beauvais, éditions Sarbacane 2023, 160 pages

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Céleste, Tome 2 : il est temps Monsieur Proust de Chloé Cruchaudet

Céleste : il est temps Monsieur Proust

J’avais beaucoup aimé le premier tome de Céleste : bien sûr Monsieur Proust*, inspiré par les mémoires de Céleste Albaret, qui fut au service de Marcel Proust pendant une dizaine d’années. Quel plaisir donc retrouver Céleste et Marcel dans ce second tome. Après avoir déserté son poste à la fin du premier volume, lassée du comportement tyrannique de Proust, Céleste reprend ici sa place auprès de l’écrivain. La santé de celui-ci ne s’améliore pas, et il continue à écrire À la recherche du temps perdu du fond de son lit. Éternellement insatisfait, il semble incapable d’y mettre un point final… Céleste a quant à elle fait venir sa sœur Marie de province afin de la seconder.

La seconde partie de ce diptyque est tout aussi réussie que la première, grâce notamment au trait de crayon de Chloé Cruchaudet et à ses personnages virevoltants. Elle décrit avec tendresse et humour la relation atypique et étonnante entre Marcel et Céleste. Si Céleste ne savait strictement rien faire quand elle a débarqué à Paris au début du tome 1, elle gère désormais tout l’aspect matériel de la vie de Proust avec beaucoup d’efficacité (l’épisode du déménagement est épique), et elle est aussi devenue sa confidente privilégiée. Elle l’aide même dans son travail d’écriture, en classant par exemple ses paperolles, ces petites bandes de papier qu’il utilisait pour apporter des modifications à son manuscrit. On tourne à regret la dernière page, difficile de dire adieu à ce duo très attachant ! 

Céleste : il est temps Monsieur Proust (clic)* de Chloé Cruchaudet, éditions du soleil 2023, 140 pages.

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Miroir de nos peines, l’adaptation graphique de Christian de Metter

 

Miroir de nos peines BD

Après Au-revoir là-haut et Couleurs de l’incendie, c’est le dernier tome de la trilogie de Pierre Lemaître qui est une nouvelle fois adapté en format graphique par Christian de Metter. Ce 3e volume nous plonge en avril 1940. On y retrouve Louise, la petite voisine d’Albert et Edouard dans Au revoir là-haut. Vingt ans plus tard, elle est devenue une jeune femme indépendante et solitaire. Institutrice, elle travaille aussi comme serveuse dans le restaurant de Monsieur Jules. Un jour, un médecin habitué de l’établissement lui propose une forte somme d’argent à une seule condition, la voir nue. Louise accepte, mais la rencontre ne va pas se dérouler comme prévu… Et la découverte d’un lourd secret familial va l’amener à se jeter sur les routes d’une France en pleine débâcle.

En parallèle de l’histoire de Louise, Miroir de nos peines retrace également la trajectoire de plusieurs autres personnages :  Raoul et Gabriel, deux soldats aux caractères très différents qui vont devoir s’allier, Fernand, un garde-mobile qui veut mettre à l’abri sa femme malade, et Désiré, un escroc charismatique. Avec ses nombreuses ramifications, ce dernier tome n’était sans doute pas le plus facile à adapter. Il est pourtant tout aussi réussi que les précédents ! Christian de Metter respecte parfaitement le travail initial de Pierre Lemaître, en jonglant aisément entre les différentes histoires, jusqu’à ce que les destins des personnages finissent par se croiser. Il apporte en plus sa patte graphique très reconnaissable, avec beaucoup de réalisme, des couleurs sombres, ainsi que des personnages aux traits anguleux et expressifs. Une belle conclusion !

Miroir de nos peines* de Christian de Metter, adapté du roman de Pierre Lemaître, novembre 2023, éditions Rue de Sèvres, 184 pages.

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