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Céleste, Tome 2 : il est temps Monsieur Proust de Chloé Cruchaudet

Céleste : il est temps Monsieur Proust

J’avais beaucoup aimé le premier tome de Céleste : bien sûr Monsieur Proust*, inspiré par les mémoires de Céleste Albaret, qui fut au service de Marcel Proust pendant une dizaine d’années. Quel plaisir donc retrouver Céleste et Marcel dans ce second tome. Après avoir déserté son poste à la fin du premier volume, lassée du comportement tyrannique de Proust, Céleste reprend ici sa place auprès de l’écrivain. La santé de celui-ci ne s’améliore pas, et il continue à écrire À la recherche du temps perdu du fond de son lit. Éternellement insatisfait, il semble incapable d’y mettre un point final… Céleste a quant à elle fait venir sa sœur Marie de province afin de la seconder.

La seconde partie de ce diptyque est tout aussi réussie que la première, grâce notamment au trait de crayon de Chloé Cruchaudet et à ses personnages virevoltants. Elle décrit avec tendresse et humour la relation atypique et étonnante entre Marcel et Céleste. Si Céleste ne savait strictement rien faire quand elle a débarqué à Paris au début du tome 1, elle gère désormais tout l’aspect matériel de la vie de Proust avec beaucoup d’efficacité (l’épisode du déménagement est épique), et elle est aussi devenue sa confidente privilégiée. Elle l’aide même dans son travail d’écriture, en classant par exemple ses paperolles, ces petites bandes de papier qu’il utilisait pour apporter des modifications à son manuscrit. On tourne à regret la dernière page, difficile de dire adieu à ce duo très attachant ! 

Céleste : il est temps Monsieur Proust (clic)* de Chloé Cruchaudet, éditions du soleil 2023, 140 pages.

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Miroir de nos peines, l’adaptation graphique de Christian de Metter

 

Miroir de nos peines BD

Après Au-revoir là-haut et Couleurs de l’incendie, c’est le dernier tome de la trilogie de Pierre Lemaître qui est une nouvelle fois adapté en format graphique par Christian de Metter. Ce 3e volume nous plonge en avril 1940. On y retrouve Louise, la petite voisine d’Albert et Edouard dans Au revoir là-haut. Vingt ans plus tard, elle est devenue une jeune femme indépendante et solitaire. Institutrice, elle travaille aussi comme serveuse dans le restaurant de Monsieur Jules. Un jour, un médecin habitué de l’établissement lui propose une forte somme d’argent à une seule condition, la voir nue. Louise accepte, mais la rencontre ne va pas se dérouler comme prévu… Et la découverte d’un lourd secret familial va l’amener à se jeter sur les routes d’une France en pleine débâcle.

En parallèle de l’histoire de Louise, Miroir de nos peines retrace également la trajectoire de plusieurs autres personnages :  Raoul et Gabriel, deux soldats aux caractères très différents qui vont devoir s’allier, Fernand, un garde-mobile qui veut mettre à l’abri sa femme malade, et Désiré, un escroc charismatique. Avec ses nombreuses ramifications, ce dernier tome n’était sans doute pas le plus facile à adapter. Il est pourtant tout aussi réussi que les précédents ! Christian de Metter respecte parfaitement le travail initial de Pierre Lemaître, en jonglant aisément entre les différentes histoires, jusqu’à ce que les destins des personnages finissent par se croiser. Il apporte en plus sa patte graphique très reconnaissable, avec beaucoup de réalisme, des couleurs sombres, ainsi que des personnages aux traits anguleux et expressifs. Une belle conclusion !

Miroir de nos peines* de Christian de Metter, adapté du roman de Pierre Lemaître, novembre 2023, éditions Rue de Sèvres, 184 pages.

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Les ciels furieux d’Angélique Villeneuve : l’horreur à hauteur d’enfant

 

Les ciels furieuxQuelque part en Europe de l’Est, dans une “zone de résidence” dans laquelle les juifs sont parqués, une petite fille de 8 ans vit avec ses parents, sa sœur Zelda et ses quatre frères. Épuisée par ses grossesses, dépressive, la mère s’occupe peu de ses enfants et a délégué le soin des plus petits aux deux sœurs aînées. Henni n’est pas peu fière de cette responsabilité, de ce tout petit bébé, Avrom, dont elle a désormais la charge. Mais un jour, son tout petit monde s’écroule en quelques minutes : des soldats russes pénètrent dans la maison, et Henni doit s’enfuir avec sa sœur et l’un de ses frères, qu’elle n’aime guère. Après avoir passé une nuit dehors, Henni cherche à retourner dans la maison familiale, sans savoir si quelqu’un l’y attend encore.

Les ciels furieux est l’histoire tragique de cette petite fille qui se retrouve seule pendant 24 heures, errant dans les environs de son village, découvrant petit à petit les conséquences de cette nuit terrible. On ne sait jamais où l’histoire se déroule, ni quand exactement, mais peu importe : elle rappelle que l’Histoire se répète en tous temps et en tous lieux. Le récit est raconté à hauteur d’enfant et l’horreur de ce qui arrive à Henni passe par le filtre de sa jeune conscience. Son cerveau cherche à la protéger de ce qu’elle a vécu, un voile semble posé sur tout ce qui l’entoure : les pensées de la petite fille sont souvent confuses, voire oniriques. Elle est dans le déni, refuse de se rappeler ce qui s’est passé exactement dans la maison familiale quand les soldats y sont entrés.

L’histoire est évidemment glaçante, mais le roman reste supportable grâce au personnage d’Henni, cette petite fille forte et rayonnante. Au milieu du chaos, il y a même quelques instants de grâce et de lumière comme seule l’enfance peut en produire. Et puis il y a la langue chantante et délicate d’Angélique Villeneuve qui donne une dimension poétique au récit. Un livre sur la fin de l’enfance, la mort et le deuil, mais un roman pourtant plein de vie.

Angélique Villeneuve est venu parler de ce livre au Festival Jardins d’hiver en février 2024, le podcast (Une enfant face à la violence) est à écouter ici

Les ciels furieux (clic)* d’Angélique Villeneuve, éditions Le passage, août 2023, 209 pages.

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Les ciels furieux coup de coeur

Les voleurs d’innocence de Sarai Walker

Les voleurs d'innocence de Sarai Walker

Héritières d’un magnat des armes à feu, les six sœurs Chapel portent toutes des noms de fleurs : Aster, Rosalind, Calla, Daphne, Iris et Hazel. Le père n’est qu’une ombre à la lisière de leurs vies, leur mère est trop aux prises avec ses démons intérieurs pour s’intéresser vraiment à ses filles. Tous vivent dans une bâtisse de Nouvelle-Angleterre qui ressemble à un gros gâteau de mariage. Et justement le mariage, à l’aube des années 50, semble la seule solution pour les aînées d’échapper à cette prison dorée. Mais alors que la première sœur, Aster, va bientôt épouser Matthew, sa mère la prévient : “Quelque chose d’horrible va arriver“. Mais peut-on vraiment prendre au sérieux cette femme qui croit voir des esprits au pied de son lit ?

Le roman se déroule sur deux temporalités : c’est Iris qui, plusieurs décennies après le drame, nous raconte le destin funeste de ses sœurs, car Aster ne sera pas la seule à mourir au lendemain de son mariage. “Les sœurs Chapel, d’abord elles sont mariées, puis elles sont enterrées” chantaient alors les gamins du quartier.

“Les voleurs d’innocence” est un conte d’inspiration gothique, un récit cruel et tragique qui m’a rappelé par certains aspects Virgin suicides, le roman de Jeffrey Eugenides adapté au cinéma par Sofia Coppola. Le roman est un peu long à démarrer, mais il devient ensuite très addictif. De ces six jolies fleurs, lesquelles parviendront à échapper à leur destin ? J’ai beaucoup aimé ce roman tant pour le suspens entretenu tout au long du livre que pour ses accents féministes. Et croyez-moi, même après avoir refermé “Les voleurs d’innocence”, les sœurs Chapel n’auront pas fini de vous hanter.

Les voleurs d’innocence (clic) de Sarai Walker, éditions Gallmeister, août 2023, 624 pages.

Voleur de feu, une vie d’Arthur Rimbaud – Damien Cuvillier

Voleur de feu, une vie d'Arthur Rimbaud

Voleur de feu est une biographie romancée d’Arthur Rimbaud : si l’auteur s’appuie sur des données biographiques connues, il a aussi pris la liberté d’imaginer certaines scènes. Ce premier volume retrace l’enfance du poète, entre 1857 (Rimbaud avait 3 ans) et 1870 (il en avait 15). Avec son frère aîné et ses deux jeunes sœurs il est élevé par une mère sévère et exigeante, un peu bigote, entre les rues de Charleville-Mézières et la ferme de Roche, un héritage familial qu’elle dirige d’une main de fer. Le père officier, déjà peu présent lors de la petite enfance d’Arthur, finit par prendre définitivement la tangente.

Cette bande dessinée permet de découvrir la sphère familiale étouffante dans laquelle Rimbaud a grandi, ainsi que sa scolarité brillante (il rédige les devoirs des autres élèves pour quelques sous). Elle met également l’accent sur certaines rencontres décisives, comme avec son professeur de rhétorique Georges Izambard : ce dernier va élargir son horizon en lui faisant notamment découvrir la revue “Le parnasse contemporain” (qui publie alors un certain Paul Verlaine) et l’encourager dans ses ambitions littéraires.

J’ai trouvé que Damien Cuvillier prenait vraiment le temps de recréer l’ambiance d’une petite ville de province au XIXe siècle, il y a un beau travail sur les couleurs et l’ensemble est ponctué d’extraits de poèmes. C’est une BD que je vous recommande si vous avez envie d’en apprendre plus sur “l’homme aux semelles de vent”.

Voleur de feu, une vie d’Arthur Rimbaud / Livre 1 (clic) de Damien Cuvillier – éditions Futuropolis, septembre 2023, 104 pages.