Le retour, une nouvelle de Joseph Conrad

Le retour Joseph Conrad

2024 marque le centenaire de la mort de Kafka (en juin), mais aussi celui de Joseph Conrad (en août). L’édition de juillet de Les classiques c’est fantastique organisé par Moka mettait donc en avant ces deux auteurs avec une battle Kafka vs Conrad. Je n’avais pas très envie de me replonger dans Kafka (j’ai été traumatisée par La métamorphose il y a longtemps), j’ai donc choisi de découvrir Joseph Conrad avec une nouvelle d’une centaine de pages, Le retour, publiée par les éditions Folio dans la collection Folio 3 €.

Le retour fait à l’origine partie d’un recueil de nouvelles, Inquiétude, paru en 1898. Alvan Hervey, un bourgeois londonien rentre chez lui un soir et découvre une lettre de sa femme l’informant qu’elle le quitte. Son monde s’effondre : il essaye de comprendre les raisons de ce départ, quand, nouvelle surprise, sa femme réintègre le domicile conjugal.

Le retour est un huis clos qui accorde une large part aux pensées d’Alvan, sous la forme d’un monologue. Sur un ton sarcastique, Conrad évoque l’univers parfaitement réglé de ce londonien de la fin du XIXe siècle, très attaché aux apparences et à une existence sans aucune aspérité, terrifié par la moindre émotion. En contrepoint, sa femme, qu’il n’a jamais considéré que comme un objet de décoration, a découvert, ou a cru découvrir, l’amour et la passion avec un autre.

“(…) la passion est l’impardonnable et secrète infamie de nos coeurs, ce qu’il faut maudire, dissimuler et nier ; une chose impudente et désespérée qui foule aux pieds les riantes promesses, arrache le masque placide, met à nu le corps même de la vie. Et c’était à lui que ça arrivait. La passion avait posé sa main impure sur les draperies immaculées de son existence, et il lui fallait faire face seul sous les regards du monde entier. Du monde entier !”

Une nouvelle qui explore en profondeur la psychologie d’un homme (ce qui est plutôt rare pour l’époque) et d’un couple, avec un style impeccable. J’avoue quand même qu’elle m’a parue un peu longuette. À noter que cette nouvelle a fait l’objet d’une libre adaptation par Patrice Chéreau en 2005, sous le titre de Gabrielle.

Le retour de Joseph Conrad, éditions Folio, 128 pages.

À l’est d’Éden – John Steinbeck

A l'est d'eden

À l’est d’Éden de John Steinbeck, publié en 1952, était la lecture commune de juillet pour le challenge L’empoche classique. Après avoir lu Des souris et des hommes et Les raisins de la colère il y a longtemps, puis La perle plus récemment, j’étais impatiente de me plonger dans cette brique de 800 pages. 

L’histoire court sur plusieurs décennies, de la fin du XIXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Elle suit deux familles, d’un côté Adam et son demi-frère Charles Trask, dont le père, ancien soldat, possède une ferme dans le Connecticut, et de l’autre, les Hamilton, un couple d’Irlandais venu s’installer en Californie, dans la vallée de Salinas. Pour écrire À l’est d’Éden, John Steinbeck s’est inspiré de sa propre histoire familiale (Samuel Hamilton était son grand-père), ainsi que du mythe d’Abel et Caïn. Il met ainsi au centre de son récit deux générations de frères, Adam et Charles, puis Caleb et Aaron, les deux fils d’Adam. 

Même si j’avoue que certains passages psycho-philosophico-religieux m’ont paru un peu longuets, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce classique de la littérature américaine. Il est peuplé de personnages forts et attachants, comme Samuel Hamilton, inventeur solaire et généreux, ou Lee, le majordome d’origine chinoise d’Adam. Mais au milieu de tous ces personnages masculins, c’est sans aucun doute le personnage de Cathy, vicieuse et méchante, qui me marquera le plus. 

À l’est d’Éden de John Steinbeck, éditions Le livre de poche, 786 pages

L’attrape-cœurs – J.D. Salinger

L'attrape-cœurs de J. D. Salinger

Pour l’édition de juin de Les classiques c’est fantastique organisé par Moka, le thème était Tout plaquer ! Introspection, solitude et isolement. Comme j’avais déjà passé Une année à la campagne pour l’édition de mai consacrée à la nature, j’ai décidé cette fois de rester en ville avec L’attrape-cœurs de J.D. Salinger, publié en 1951.

Holden Caufield est un adolescent de 16 ans qui vient d’être renvoyé de son pensionnat huppé, juste avant les vacances de Noël. Après s’être battu avec son camarade de chambre, il s’enfuit de son collège mais préfère errer dans les rues de New-York plutôt que de rentrer chez lui et d’affronter ses parents.

Tout le roman de Salinger repose sur le personnage d’Holden, adolescent torturé qui n’aime rien ni personne, et qui n’arrive pas à trouver sa place. Traumatisé par la perte de son jeune frère, décédé d’une leucémie, Holden est perdu entre l’enfance et l’âge adulte. Pendant trois jours il erre de bar en bar, de souvenir en souvenir, essaye d’appeler quelques connaissances, fait des rencontres au hasard de ses pérégrinations, mais personne n’arrivera à le sortir de sa profonde solitude et de la dépression dans laquelle il s’enfonce.

L’attrape-cœurs est un roman sombre, l’appel à l’aide d’un ado qui grandit dans un monde qu’il perçoit triste et sans espoir. Holden est plutôt agaçant : il s’exprime grossièrement (le style brut et familier a déplu à plus d’un lecteur), et surtout il a un avis très arrêté et négatif sur tout ce qui l’entoure. Il n’a aucun filtre non plus dans sa relation aux autres, ce qui complique ses relations amicales ou amoureuses. Pourtant on ne peut s’empêcher de s’attacher à lui au fil des pages.

Un livre culte, sans doute parce que la colère et le désespoir qui se dégagent de ces pages ont dû parler à nombre d’adolescents au fil des décennies.

L’attrape-cœurs de J.D. Salinger, éditions Robert Laffont / Pavillons Poche, 256 pages

Une année à la campagne – Sue Hubbel

 

Une année à la campagne de Sue Hubbel

Voici ma 1ère participation au challenge Les classiques c’est fantastique (saison 5) organisé par Moka. Le thème de ce mois de mai était “L’écrivain.e et la nature”.

“Une année à la campagne” est un récit autobiographique de Sue Hubbel publié en 1986, et qui est toujours édité aux éditions Folio. Cette bibliothécaire et son mari ont décidé de s’installer dans les Monts Ozarks, dans le Missouri, pour y devenir apiculteurs. Son mari la quitte, elle reste, devenant  “La dame aux abeilles”. 

Dans ce livre elle raconte une vie simple et solitaire dans une région isolée, où le quotidien est souvent rude. Une existence frugale aussi : malgré ses 18 millions d’abeilles, elle peine à vivre de son activité. Mais c’est l’opportunité pour cette biologiste de formation de vivre en harmonie avec la nature, et de partager avec le lecteur le fruit de ses observations au fil des saisons. Je ne suis pas une férue de nature et pourtant j’ai adoré découvrir plein de détails sur la faune et la flore, les abeilles, les termites, les grenouilles, les araignées, les chauve-souris ou même les parasites qui se nichent dans les oreilles des papillons. L’autrice partage ses connaissances avec beaucoup d’humour, de poésie et d’enthousiasme. 

En nous emmenant à sa suite dans toutes ses activités du quotidien, elle dessine aussi l’autoportrait d’une femme d’exception, solide et indépendante, mais toujours humble. Ici elle répare le moteur de son vieux camion ou lutte contre l’installation d’un barrage dans la région, là elle consolide une grange, empêche un énorme serpent ratier noir de dévorer des oisillons, se fait piquer par une araignée recluse brune, ou prépare une tarte aux kakis pour ses invités (et elle nous donne même la recette). 

Un livre serein et apaisant, d’une grande richesse, j’ai beaucoup aimé cette échappée verte et la rencontre avec cette femme fascinante, décédée en 2018. 

Une année à la campagne de Sue Hubbel, éditions Folio, 272 pages

 

Je suis leur silence de Jordi Lafebre : un polar à Barcelone

Je suis leur silence

Eva Rojas, jeune psychiatre espagnole, doit répondre aux questions d’un de ses confrères, le Dr Lull, avant de pouvoir reprendre son activité professionnelle. Elle entreprend de lui raconter sa semaine passablement agitée : alors qu’elle devait soutenir son amie (et patiente) Penelope lors de la lecture du testament de sa grand-mère, l’un des convives est retrouvé mort. L’occasion pour Eva de se lancer dans une enquête échevelée. Mais la famille de Penelope, qui a fait fortune dans le milieu du vin, ne voit pas la présence d’Eva d’un bon œil.

J’avais beaucoup aimé la précédente BD du dessinateur espagnol Jordi Lafebre, Malgré tout, une histoire d’amour à rebours dans le temps. Ce nouveau titre est complètement différent puisqu’il s’agit d’un polar. Jordi Lafebre est particulièrement doué pour camper des personnages pétillants : si vous avez lu “Malgré tout”, vous vous souvenez forcément d’Anna et Zeno. Ici c’est le personnage d’Eva et son petit grain de folie qui font tout le charme de cette nouvelle BD. Impossible de résister à cette psychiatre bipolaire et sans filtre, accompagnée dans son enquête par les fantômes de ses aïeules espagnoles ! On ne peut qu’être fasciné par ses courbes parfaites, ses cheveux blonds ébouriffés, ses tatouages et son tempérament malicieux. Même si j’ai trouvé l’intrigue un peu trop classique, j’ai beaucoup apprécié cette BD pleine d’humour, au rythme trépidant

Je suis leur silence (clic)* de Jordi Lafebre, éditions Dargaud 2023, 112 pages

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