Catégorie : 3 étoiles – A lire

Prix Fémina des lycéens 2023 : Ce que je sais de toi d’Eric Chacour

Ce que je sais de toi - Eric Chacour

Issu d’une famille aisée du Caire, Tarek a toujours fait ce que ses proches attendaient de lui : il est devenu médecin et il a épousé la jolie Mira, avec qui il espère avoir bientôt un enfant. Il partage son temps entre le cabinet médical hérité de son père, dans lequel se pressent des égyptiens de la communauté levantine, et le dispensaire qu’il a créé pour soigner la population d’un quartier pauvre. Mais une rencontre inattendue va bouleverser son existence et remettre en cause toutes ses certitudes.

Ce premier roman d’un jeune auteur québécois est sorti en août 2023, et il a rencontré un succès inattendu : vous l’avez sans doute déjà croisé sur les réseaux sociaux, avant même qu’il ne remporte le prix Fémina des lycéens 2023. La première partie de ce livre a une particularité qui pourra agacer certains lecteurs : elle est construite à la 2e personne du singulier, avec un narrateur dont on ignore l’identité et qui s’adresse directement à Tarek, le personnage principal. Ce choix stylistique m’a personnellement gênée : il donne un ton un peu artificiel, rend parfois la lecture scabreuse et maintient le lecteur à distance. C’est sans doute principalement pour cette raison que j’ai été moins emballée que d’autres par cette lecture. C’est dommage, car par ailleurs Ce que je sais de toi a beaucoup de qualités.

C’est un livre délicat et émouvant, qui interroge sur le destin, le poids des traditions et de la famille. Peut-on changer son destin quand on a été conditionné dès l’enfance ? L’ambiance fait aussi beaucoup du charme de ce livre, avec une Egypte des années 80, en pleine mutation, qui se dessine surtout à travers les odeurs. Si je n’ai pas été complètement embarquée dans l’histoire de Tarek, j’ai quand même trouvé que c’était une lecture agréable, avec quelques rebondissements qui permettent de maintenir l’intérêt du lecteur jusqu’au dénouement.

Ce que je sais de toi (clic)* d’Eric Chacour, éditions Philippe Rey, août 2023, 301 pages.

*Lien rémunéré par Amazon

Il est des hommes qui se perdront toujours – Rebecca Lighieri

“L’espérance de vie de l’amour, c’est huit ans. Pour la haine, comptez plutôt vingt. La seule chose qui dure toujours, c’est l’enfance, quand elle s’est mal passée.”

Dans les années 80, Karel grandit dans une cité de Marseille, avec sa sœur Hendricka et son frère handicapé, Mohand. La famille vit dans la misère et les enfants subissent quotidiennement la violence du père. Pour fuir l’appartement familial, ils prennent l’habitude de se réfugier au passage 50, dans une communauté de gitans.

J’ai d’abord été séduite par ces gamins perdus, miséreux mais si beaux que leur père s’entête à leur faire passer casting sur casting. Mais l’histoire tourne vite en boucle, versant souvent dans la répétition et la caricature. L’écriture perd aussi en qualité au fil du texte, avec un langage bas-du-front et des références musicales lourdingues. C’est le 2ème roman que je lis cet été avec des extraits de chansons toutes les deux pages et je trouve que ça n’a vraiment aucun intérêt.

Je suis donc assez déçue par ce roman d’apprentissage que j’avais pourtant envie de lire depuis longtemps. Je retenterais peut-être ma chance avec *Arcadie* de la même autrice, qui a reçu le Prix Inter en 2019 (Rebecca Lighieri est le pseudonyme d’Emmanuelle Bayamack-Tam).

Il est des hommes qui se perdront toujours de Rebecca Lighieri, éditions Folio 2021

Chance – Kem Nunn [Roman]

Chance Kem NunnLe Dr Eldon Chance est un neuropsychiatre d’une cinquantaine d’années qui vit à San Francisco. Son activité consiste à évaluer des patients pour livrer son expertise auprès des tribunaux. Sa vie personnelle est un naufrage, sa femme vient de le quitter pour un jeune coach sportif, le divorce l’a mis sur la paille, et il ne peut plus payer l’école privée de sa fille ado, avec qui il tente tant bien que mal de maintenir une relation. Face à sa situation financière délicate il est tenté par la magouille d’un antiquaire qui lui propose de vendre quelques-uns de ses meubles bien au-dessus de leur valeur réelle. Tout comme il est tenté par Jacklyn Blackstone, une de ses patientes. A moins que ce ne soit par son double, car Jacklyn souffre d’un dédoublement de personnalité. Quand on sait que la belle est en plus affublée d’un mari violent et jaloux, qui s’avère être un policier véreux, les chemins sur lesquels Chance est sur le point de s’aventurer semblent plus que tortueux.

Les fous ne sont pas toujours ceux qu’on croit, tel pourrait être le crédo de ce thriller psychologique. Si au départ les choses semblent  limpides, et les troubles psychiatriques réservés aux patients de Chance, plus on avance dans le roman, plus on se demande si les autres personnages sont réellement sains d’esprit, y compris notre bon docteur qui va se laisser embarquer dans une histoire rocambolesque à plusieurs niveaux. Le roman s’appuie surtout sur une belle galerie de  personnages secondaires, à commencer par la mystérieuse Jacklyn, dont on ne sait  si elle est manipulée ou manipulatrice. Il y a aussi l’imposant D., restaurateur de meubles, mercenaire des bas-fonds de San Francisco à ses heures perdues, et qui va devenir l’allié improbable du Dr Chance.

J’ai beaucoup aimé la première partie de ce roman, rythmée par l’inclusion des expertises psychiatriques menées par Chance, mais le soufflé est ensuite un peu retombé et je me suis perdue au fil du roman dans les choix douteux de Chance, et sa longue (longue, trop longue) descente aux enfers. C’était plutôt bien parti donc mais ce roman ne m’a finalement pas complètement convaincue, dommage ! A noter que ce roman a fait l’objet d’une adaptation en série (avec Hugh Laurie dans le rôle principal).

Chance de Kem Nunn, éditions Sonatine, 384 pages,  janvier 2017 – 21€ sur Amazon

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[Roman] L’héritage – Katherine Webb

l-heritage-katherine-webb1902, Caroline, jeune New-Yorkaise de bonne famille, tombe amoureuse de Corin, un éleveur de bétail qui s’est installé dans l’Ouest. Ils se marient rapidement mais les conditions difficiles de sa nouvelle vie, bien loin du confort new-yorkais, ses problèmes pour avoir un enfant, la cohabitation craintive  avec les employés indiens du ranch, et sa solitude dans ces espaces sauvages vont progressivement avoir raison de la santé mentale et physique de Caroline.

De nos jours. Les arrière-petites-filles de Caroline, Beth et Erika, reviennent s’installer dans le  manoir anglais dont elles viennent d’hériter à la mort de leur grand-mère Meredith. Mais le souvenir de leur cousin Henry, mystérieusement disparu 23 ans plus tôt lors de vacances au manoir continue de les hanter. Erika est persuadée que l’état dépressif de sa soeur date de cette époque et qu’elle cache quelque chose à propos de la disparition d’Henry.

Voilà longtemps que je voulais découvrir l’œuvre de Katherine Webb, jeune romancière anglaise devenue en quelques années une référence en matière de sagas familiales. J’ai choisi ce titre un peu par hasard (c’était le seul disponible dans ma bibliothèque), et il se trouve que L’héritage est son tout premier roman.

Le livre s’ouvre en 1905, sur une scène percutante: Caroline y abandonne un jeune enfant nu, enveloppé dans une taie d’oreiller brodée d’iris jaunes (la précision aura son importance), à proximité d’un camp de gens du voyage. Qui est cet enfant? Pourquoi l’abandonne-t-elle?  Le reste du roman s’emploie à raconter les trois années qui ont précédé cette tragédie, entre New York, le grand Ouest Américain et un vieux manoir anglais. En contrepoint il y a l’histoire de Beth et Erika, où là aussi il est question d’un enfant, disparu au cours d’une après-midi de jeux avec ses cousines. Deux lourds secrets de famille, d’un siècle à l’autre, qui se répondent et finiront par se rejoindre, Erika cherchant à savoir ce qu’est devenu l’enfant inconnu découvert sur une vieille photo de famille. L’héritage c’est à la fois le manoir, mais surtout ces secrets, ces douleurs que l’on se transmet d’une génération à l’autre, une ligne funeste qu’Erika va tenter de briser pour sauver sa soeur dépressive… J’ai bien aimé l’alternance entre les deux époques (Katherine Webb en a un peu fait son fonds de commerce puisqu’elle use du même procédé dans deux autres romans, Pressentiments et A la claire rivière). J’ai cependant préféré la partie mettant en scène Caroline, j’ai trouvé celle concernant Beth et Erika un peu paresseuse et redondante (l’auteur revient sans arrêt sur la dépression de Beth), le rythme s’en ressent. Mais on continue à tourner les pages parce qu’on meurt d’envie de savoir ce qui s’est passé… Le double dénouement sera à la fois tragique et amer. Malgré quelques réserves, si comme moi vous êtes amateur de sagas familiales, ce roman devrait vous combler!

Traduction par Sylvie Schneiter. Première édition française chez Belfond (2011). Disponible en poche chez Pocket (2013) – 523 pages. 3 etoiles

Je suis une lectrice Charleston #1: Le goût des souvenirs, L’italienne et La femme des dunes

lectricecharleston1

Comme je vous le disais il y a quelques semaines, je fais partie des lectrices Charleston 2014 et à ce titre j’aurais la chance (notamment) de recevoir tous les romans publiés cette année en avant-première. Voici donc mon avis sur les trois premiers romans que j’ai pu lire. Vous pouvez d’ores et déjà trouver les deux premiers titres en librairie, le 3ème – La femme des dunes – sort dans quelques jours, le 10 février.

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le gout des souvenirsLe goût des souvenirs – Erica Bauermeister – 3 etoiles

Autour du restaurant de Lilian et des ateliers cuisine qu’elle organise régulièrement gravitent plusieurs personnages: Al, son comptable, confronté à de sérieux problèmes de couple avec Louise; Finnigan, employé au restaurant, qui se balade avec de mystérieux cahiers bleus et qui n’est pas insensible au charme de Chloé, laquelle a emménagé avec Isabelle, qui perd peu à peu la mémoire…

Ce roman est la suite de L’école des saveurs (paru en 2009 aux éditions Presses de la cité) mais peut se lire indépendamment. C’est un roman choral dans lequel chaque personnage prend la parole à tour de rôle, ce qui permet d’apporter du rythme à l’histoire, mais il est un peu frustrant de ne pas passer un peu plus de temps avec chaque personnage. C’est sans doute le principal défaut de ce roman qui par son choix de construction manque parfois de profondeur.

C’est un livre sur les souvenirs, sur la filiation et sur la perte, sur la famille au sens large, celle que l’on a et celle que l’on se choisit. La nourriture joue aussi un rôle intéressant, même si ce n’est pas le sujet central du livre, mais les odeurs, les saveurs donnent une dimension physique et chaleureuse au récit. La gastronomie est surtout ici un lien entre les personnages et les générations, et j’ai aimé ce fil conducteur, ces descriptions de plats qui réconfortent, rassurent, unissent. Globalement j’ai trouvé que c’était un joli roman, doux et sensible, même s’il reste parfois un peu trop en surface.

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LItalienneL’italienne – Adriana Trigiani – 3 etoiles

Ciro et Enza sont tous les deux originaires des alpes italiennes. Ciro a été abandonné dans un couvent avec son frère Edouardo, Enza est l’aînée d’une famille nombreuse et pauvre. Alors qu’ils viennent de se rencontrer, Ciro doit quitter précipitamment l’Italie, direction les Etats-Unis, sans pouvoir prévenir Enza. Peu de temps après Enza va elle aussi traverser l’Atlantique afin d’améliorer le quotidien de sa famille. Le destin les réunira t-il à nouveau?

 Le fond historique est intéressant, l’immigration aux Etats-unis au début du XXème siècle, l’engagement de Ciro dans la première guerre mondiale, celui de son fils Antonio dans la 2ème guerre, et j’ai  particulièrement apprécié les passages dans lesquels Enza, jeune couturière,  côtoie le grand Caruso dans les coulisses de l’opéra… J’ai aussi été sensible à la force des relations familiales, même quand elles sont éprouvées par la distance (que ce soit Ciro avec son frère Edouardo ou Enza avec sa mère, qui sont tous deux restés en Italie) et à l’importance des racines: Ciro et Enza n’oublieront jamais d’où ils viennent. J’ai eu cependant un peu de mal à apprécier le style et le rythme ralenti par les nombreux dialogues et descriptions.

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la femme des dunesLa femme des dunes – Chris Bohjalian (sortie le 10 février) – Note/4 etoiles

En 1915, la jeune Elizabeth Endicott accompagne son père à Alep dans le cadre d’une mission humanitaire. Elle va découvrir l’horreur du génocide arménien, mais aussi rencontrer Armen, un arménien qui a perdu sa femme et sa fille.

En 2012, après avoir découvert la photo d’une victime du génocide qui pourrait être de sa famille Laura Petrosian entame des recherches sur l’histoire de ses grands-parents et va mettre à jour un terrible secret de famille.

Cette lecture m’a d’abord appris beaucoup de choses sur les circonstances et le déroulement du génocide arménien. L’intégration d’une histoire d’amour dans un tel contexte était plutôt délicat, mais j’ai trouvé que l’auteur s’en sortait très bien et traitait cette alliance avec beaucoup de tact et de pudeur. L’histoire d’Elizabeth et d’Armen est comme une fleur poussant sur un tas de cendres, une note d’espoir dans une symphonie de l’horreur.

Au-delà des évènements eux-mêmes ce roman soulève aussi la question de l’oubli des générations suivantes. L’alternance entre le passé (l’histoire d’Elizabeth et d’Armen) et le présent (avec Laura) permet aussi de mettre en avant l’importance du travail de mémoire. La femme des dunes est un roman très émouvant qui  rend hommage à toutes les victimes de ce génocide trop longtemps oubliées par l’Histoire.