Catégorie : Documents

Les naufragés de l’île Tromelin – Irène Frain


En 1761, un navire français qui transporte une cargaison clandestine d’esclaves fait naufrage près d’une petite île de l’Océan indien. Les rescapés, noirs et blancs, vont devoir cohabiter sur ce bout de terre malmené par les éléments, puis s’entraider afin de construire une nouvelle embarcation. Mais le bateau de fortune étant trop petit, le lieutenant Castillan prend la difficile décision d’abandonner les esclaves, tout en leur promettant qu’il reviendra les chercher. Les secours ne viendront que 15 ans plus tard…

En s’appuyant sur de rares archives, et sur les recherches de l’historien Max Guérout, Irène Frain retrace donc ici un  épisode peu glorieux de l’histoire française, auquel Condorcet lui même fit référence dans le cadre de son combat contre l’esclavage. Parmi les nombreux rescapés, elle s’attache aux pas de quelques protagonistes, comme l’officier qui organisa la survie, Castellan, le “blanc-aux-yeux-couleur-de-pluie”, ou l’écrivain Keraudic, individu antipathique  et lâche, mais qui par son métier fut un témoin privilégié des évènements. Le sujet promettait d’être passionnant, mais à vouloir livrer un récit aussi exhaustif que possible, l’auteur nous noie dans les détails, et ça commence dès les premières pages, avec des passages interminables sur  les tortues de mer ou sur l’emplacement de l’île. J’ai aussi été gênée par la frontière très floue entre roman et document, on ne sait parfois plus ce qui tient de la réalité ou de l’imagination d’Irène Frain…  Ces choix de narration, le manque de distance et de sobriété ont failli avoir raison de ma
patience et malgré l’intérêt du sujet, j’ai malheureusement eu beaucoup de mal à aller au bout de cette lecture.

Michel Lafon 2009, 369 pages, 20€

Le site officiel du livre

Un livre lu par de nombreux bloggueurs, retrouvez tous les liens sur Blog-o-Book
A écouter, l’entretien d’Irène Frain dans l’émission de Michel Drucker sur Europe 1



(Merci à)


Moi, Fatty – Jerry Stahl

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Qui se souvient aujourd’hui de Roscoe Arbuckle qui fut pourtant en son temps
plus-célèbre-que-Chaplin” ? Après avoir fait très tôt ses premiers pas dans le musik-hall, son physique (qui lui vaudra le surnom de “Fatty”) et son talent comique lui ouvrent les
portes du cinéma muet. Il
connaît la gloire et la fortune, travaille avec Chaplin ou Keaton (qui resteront deux amis proches, même dans la tourmente). Mais au faîte de sa carrière il est accusé
du viol et du meurtre d’une jeune actrice, Virginia Rappe, et devient une cible de choix pour l’amérique puritaine.

 

En ce début de XXème siècle, le cinéma n’est encore qu’un genre mineur et méprisé, Hollywood n’en est qu’à ses
débuts,
et en toile de fond de l’histoire de Fatty, c’est vraiment une époque passionnante qui se
dessine au fil des pages!
Dans cette (auto)biographie romancée, Jerry Stahl se glisse dans la peau de
Roscoe, raconte son enfance terrible, entre une mère malade et un père alcoolique et violent.
Malgré
le succès, “Fatty” gardera une image de lui-même désastreuse, héritée de cette époque, et
toute sa vie
il n’aura de cesse de se détruire, se noyant dans l’alcool et les drogues. La deuxième partie du livre est déchirante : Eternel petit garçon terrorisé par son père, Roscoe voit dans le
public qui le conspue après l’avoir adulé un juste retour des choses, et retrouve presque avec soulagement l’écho familier de la haine que lui portait son père. Entre biographie et roman noir,
“Moi, Fatty” retrace à la fois les balbutiements de l’industrie du spectacle et un destin fascinant, celui du premier acteur dévoré par la machine hollywoodienne.

Rivages Thrillers 2007, 270 pages, 20€


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La sagesse de la courriériste du coeur – Carlotta Alessandri

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Très chère Elise, Mon mari est adorable
Ma meilleure Amie A un Amant
Un Jour elle m’a dit Bouge fait comme Moi
et me voilà parti. Depui un moi
J’ai un amant
Je Bois du vin Je m’abille et Maquille
Differament Je me sens libre
Jusqu’au jour ou mon Mari
va se douter de quelque chose
Je suivrais votre conseil Bon ou Mauvais

Nathalie


Le courrier du coeur est une histoire organique, une histoire de papier, chiffonné, plié en deux, en huit, bouts de
nappe arrachés ou joli papier à lettres. Une histoire de colle, de salive, de traces de doigts et d’espoir.
Quand on ne sait plus comment
trouver un sens à sa vie, un homme à aimer, une page à tourner, il y a cette phrase en haut de la page du courrier du coeur:
“Vous
éprouvez des difficultés dans votre vie sentimentale, vous avez envie de vous confier? Elise est là pour vous aider”. (4ème de couverture)

Depuis 20 ans, Carlotta Alessandri est Elise, la responsable de la rubrique “courrier du cœur” du magazine Nous Deux. Curieux métier dans lequel elle reçoit les confidences
d’inconnues: il y est question d’amour et de solitude, de choses légères (un premier baiser, un amant, l’attirance pour un homme que l’on croise tous les matins ou que l’on voit une fois par an)
mais aussi plus graves, inceste ou violence conjugale. Pour Elise, il s’agit alors d’
imaginer qui se cache derrière ce cœur en
détresse
, de dompter l’émotion pour prendre le recul nécessaire, de lire entre les lignes, de trouver le compromis entre la réponse que l’on attend et
celle que l’on ne veut pas entendre… Il faut remodeler les lettres pour en retirer la substantifique moëlle, pour qu’elles parlent à toutes les lectrices sans pour autant leur retirer
leur particularité. On sourit souvent en lisant les quelques lettres retranscrites dans ce livre, leur candeur désarmante, leur côté un peu suranné, leur orthographe douteuse… Pourtant jamais
ces mots maladroits ne sont ridicules et l’auteur sait nous faire partager la poésie de ces missives et la tendresse qu’elle ressent pour toutes ces correspondantes anonymes. Un livre très court
(une centaine de pages) mais très riche, sur un métier rare et magique.

Ce livre fait partie d’une collection lancée par les éditions L’œil neuf intitulée “la sagesse d’un métier”: vous pouvez retrouver l’ensemble des titres parus ici (la sagesse de l’éditeur ou du bibliothécaire, la sagesse du médecin ou du photographe…). Beaucoup de ces titres m’intéressent, donc je vous reparlerais
sûrement de cette collection bientôt !

Editions L’œil neuf 2007, 110 pages,
12,50€

Je parle – Laëtitia Bohn-Derrien

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“Je parle”, ce sont les premiers mots de Laëtitia Bohn-Derrien après plusieurs mois de silence.
Victime d’un accident vasculaire cérébral lors d’un déplacement professionnel aux Etats-Unis, cette jeune femme de 33 ans se retrouve prisonnière de son propre corps. Atteinte d’un “Locked-in
Syndrom”, seules ses paupières, qui deviendront de précieuses alliées, lui permettent alors de communiquer.
Laetitia Bohn-Derrien raconte sa volonté farouche de vivre, sa détermination à faire mentir le diagnostic pessimiste des médecins. Elle retrace son combat pour se
réapproprier les menus gestes du quotidien: bouger un doigt, plier un coude, boire un café, sourire ou serrer ses enfants dans ses bras.
L’auteur insiste sur la présence et la patience salvatrices de ses proches, mais évoque aussi l’hostilité du monde extérieur: les regards curieux,
l’indifférence de ses ex-employeurs, la maladresse occasionnelle des soignants, le combat contre l’administration, le manque de considération sociale pour les invalides.
Les nombreux témoignages, courts et concis, de proches ou de médecins qui entrecoupent ce récit donnent une vision plus large et approfondie de l’épreuve
qu’a dû traverser la jeune femme. Dommage que ce document très intéressant sur une femme admirable confrontée à un mal terrifiant, soit parfois desservi par un style assez pauvre.
Editions Jean-Claude Lattès 2005, 357 pages, 18€
Sélection Document du Grand Prix des Lectrices de Elle 2006

Lucky – Alice Sebold


Au début des années 80, Alice Sebold a 18 ans et suit des études à Syracuse. Un soir, sur le chemin de sa résidence universitaire, elle est sauvagement agressée et violée. Vingt ans plus tard, elle revient sur ce traumatisme: Le viol, la peur, l’agresseur reconnu dans la rue, le procès, la vie qui doit reprendre malgré tout. Dans cet autoportrait sans concessions, elle redevient cette jeune fille brisée en deux, qui cachait sa fragilité, son malaise et sa solitude sous des allures de fanfaronne. Elle raconte le soutien bancal et maladroit de sa famille, la gêne des amies,  la fascination des inconnus ou le dégoût des “gentils garçons”.

Ce récit cru et puissant offre un éclairage intéressant sur “La nostalgie de l’ange”, dans lequel Alice Sebold tentait déjà d’exorciser ses démons. Dans ce roman publié en 2003, elle mettait en scène Suzie, une adolescente de 14 ans violée et assassinée, qui observait la vie terrestre depuis son petit coin de ciel. Dans “Lucky”, Alice Sebold laisse tomber le masque du romanesque. Sans fard ni pudeur, sans se soucier du politiquement correct, elle crache sa haine pour son violeur. Un témoignage percutant!

Nil éditions 2005, 322 pages, 19 €
Sélection Prix Elle 2006