Catégorie : Lectures – Classement par note

Voleur de feu, une vie d’Arthur Rimbaud – Damien Cuvillier

Voleur de feu, une vie d'Arthur Rimbaud

Voleur de feu est une biographie romancée d’Arthur Rimbaud : si l’auteur s’appuie sur des données biographiques connues, il a aussi pris la liberté d’imaginer certaines scènes. Ce premier volume retrace l’enfance du poète, entre 1857 (Rimbaud avait 3 ans) et 1870 (il en avait 15). Avec son frère aîné et ses deux jeunes sœurs il est élevé par une mère sévère et exigeante, un peu bigote, entre les rues de Charleville-Mézières et la ferme de Roche, un héritage familial qu’elle dirige d’une main de fer. Le père officier, déjà peu présent lors de la petite enfance d’Arthur, finit par prendre définitivement la tangente.

Cette bande dessinée permet de découvrir la sphère familiale étouffante dans laquelle Rimbaud a grandi, ainsi que sa scolarité brillante (il rédige les devoirs des autres élèves pour quelques sous). Elle met également l’accent sur certaines rencontres décisives, comme avec son professeur de rhétorique Georges Izambard : ce dernier va élargir son horizon en lui faisant notamment découvrir la revue “Le parnasse contemporain” (qui publie alors un certain Paul Verlaine) et l’encourager dans ses ambitions littéraires.

J’ai trouvé que Damien Cuvillier prenait vraiment le temps de recréer l’ambiance d’une petite ville de province au XIXe siècle, il y a un beau travail sur les couleurs et l’ensemble est ponctué d’extraits de poèmes. C’est une BD que je vous recommande si vous avez envie d’en apprendre plus sur “l’homme aux semelles de vent”.

Voleur de feu, une vie d’Arthur Rimbaud / Livre 1 (clic) de Damien Cuvillier – éditions Futuropolis, septembre 2023, 104 pages.


Indiana de George Sand, l’adaptation BD

Indiana - Catel & Bouilhac (Indiana a de faux-airs d’Isabelle Adjani, non ?)

Indiana a été le premier roman de George Sand publié sous son nom de plume, et il est ici adapté en BD par le duo Catel & Claire Bouilhac. La jeune et fragile Indiana, originaire de l’île-Bourbon, est mariée à un vieux colonel grognon, Monsieur Delmare. Elle mène désormais une existence morne et ennuyeuse dans un petit château de La Brie. Alors, quand un jeune et aimable noble, Monsieur de Ramière, s’installe dans les environs, elle ne tarde pas à tomber sous son charme. Mais il commence par séduire Noun, la servante et sœur de lait créole d’Indiana. Tous les ingrédients sont réunis pour qu’un drame survienne…

Bien plus qu’une histoire d’amour contrariée, Indiana est considéré avant tout comme un roman féministe : il montre la difficulté pour les femmes du XIXe siècle de faire leurs propres choix, ainsi que la peur du scandale qui règne sur leurs vies. Mais les personnages féminins de ce récit n’en sont pas pour autant sympathiques ! Indiana est même prodigieusement agaçante. Les hommes sont quant à eux dépeints comme des êtres pétris d’égoïsme : Raymon de Ramière est manipulateur, obsédé par sa quête du plaisir, enivré par le pouvoir qu’il exerce sur les femmes. Malgré ces personnages déplaisants, j’ai eu plaisir à découvrir ce classique sous une forme graphique, la férocité du propos étant parfaitement mise en valeur par la modernité des dessins.

Si cette histoire adaptée à 4 mains est illustrée pour sa plus grande partie par Claire Bouilhac, c’est Catel qui prend en charge les premières et les dernières pages : elle y met en scène George Sand elle-même. Cette dernière évoque l’impossibilité de signer son roman avec son nom de femme ou justifie la fin du livre qui ne suivait pas les codes de la littérature romantique en vogue à l’époque. Ces éléments biographiques éclairent habilement l’ensemble de l’ouvrage.

Indiana (clic) de Georges Sand, adaptée par Catel & Bouilhac – éditions Dargaud, septembre 2023 – 176 pages

 

Indiana - Catel et Bouilhac

Ne t’arrête pas de courir – Mathieu Palain

“Ne t’arrête pas de courir” retrace le parcours de Toumany Coulibaly, champion de France du 400 m le jour et cambrioleur la nuit. Mathieu Palain tente de cerner ce personnage solaire et complexe, et de comprendre comment il en est arrivé là, depuis son enfance dans une famille polygame de 18 enfants, à sa découverte de l’athlétisme sur le tard. Pourquoi cette chance qui s’offrait à lui de changer de vie n’a t-elle pas suffi à modifier sa trajectoire ?

Au fil du récit, l’auteur partage les échanges que les deux hommes ont eus au parloir pendant deux ans et l’amitié qui se tisse entre eux.

Dans la deuxième partie du livre, Mathieu Palain s’interroge également sur son travail de journaliste, et cherche à comprendre ses propres motivations : pourquoi a-t-il fait de la prison son principal sujet d’enquête depuis le début de sa carrière ?

J’ai beaucoup aimé ce récit riche et éclairant, une belle surprise de la rentrée littéraire.

Ne t’arrête pas de courir de Mathieu Palain, août 2021, éditions de l’iconoclaste.

Il est des hommes qui se perdront toujours – Rebecca Lighieri

“L’espérance de vie de l’amour, c’est huit ans. Pour la haine, comptez plutôt vingt. La seule chose qui dure toujours, c’est l’enfance, quand elle s’est mal passée.”

Dans les années 80, Karel grandit dans une cité de Marseille, avec sa sœur Hendricka et son frère handicapé, Mohand. La famille vit dans la misère et les enfants subissent quotidiennement la violence du père. Pour fuir l’appartement familial, ils prennent l’habitude de se réfugier au passage 50, dans une communauté de gitans.

J’ai d’abord été séduite par ces gamins perdus, miséreux mais si beaux que leur père s’entête à leur faire passer casting sur casting. Mais l’histoire tourne vite en boucle, versant souvent dans la répétition et la caricature. L’écriture perd aussi en qualité au fil du texte, avec un langage bas-du-front et des références musicales lourdingues. C’est le 2ème roman que je lis cet été avec des extraits de chansons toutes les deux pages et je trouve que ça n’a vraiment aucun intérêt.

Je suis donc assez déçue par ce roman d’apprentissage que j’avais pourtant envie de lire depuis longtemps. Je retenterais peut-être ma chance avec *Arcadie* de la même autrice, qui a reçu le Prix Inter en 2019 (Rebecca Lighieri est le pseudonyme d’Emmanuelle Bayamack-Tam).

Il est des hommes qui se perdront toujours de Rebecca Lighieri, éditions Folio 2021

Chance – Kem Nunn [Roman]

Chance Kem NunnLe Dr Eldon Chance est un neuropsychiatre d’une cinquantaine d’années qui vit à San Francisco. Son activité consiste à évaluer des patients pour livrer son expertise auprès des tribunaux. Sa vie personnelle est un naufrage, sa femme vient de le quitter pour un jeune coach sportif, le divorce l’a mis sur la paille, et il ne peut plus payer l’école privée de sa fille ado, avec qui il tente tant bien que mal de maintenir une relation. Face à sa situation financière délicate il est tenté par la magouille d’un antiquaire qui lui propose de vendre quelques-uns de ses meubles bien au-dessus de leur valeur réelle. Tout comme il est tenté par Jacklyn Blackstone, une de ses patientes. A moins que ce ne soit par son double, car Jacklyn souffre d’un dédoublement de personnalité. Quand on sait que la belle est en plus affublée d’un mari violent et jaloux, qui s’avère être un policier véreux, les chemins sur lesquels Chance est sur le point de s’aventurer semblent plus que tortueux.

Les fous ne sont pas toujours ceux qu’on croit, tel pourrait être le crédo de ce thriller psychologique. Si au départ les choses semblent  limpides, et les troubles psychiatriques réservés aux patients de Chance, plus on avance dans le roman, plus on se demande si les autres personnages sont réellement sains d’esprit, y compris notre bon docteur qui va se laisser embarquer dans une histoire rocambolesque à plusieurs niveaux. Le roman s’appuie surtout sur une belle galerie de  personnages secondaires, à commencer par la mystérieuse Jacklyn, dont on ne sait  si elle est manipulée ou manipulatrice. Il y a aussi l’imposant D., restaurateur de meubles, mercenaire des bas-fonds de San Francisco à ses heures perdues, et qui va devenir l’allié improbable du Dr Chance.

J’ai beaucoup aimé la première partie de ce roman, rythmée par l’inclusion des expertises psychiatriques menées par Chance, mais le soufflé est ensuite un peu retombé et je me suis perdue au fil du roman dans les choix douteux de Chance, et sa longue (longue, trop longue) descente aux enfers. C’était plutôt bien parti donc mais ce roman ne m’a finalement pas complètement convaincue, dommage ! A noter que ce roman a fait l’objet d’une adaptation en série (avec Hugh Laurie dans le rôle principal).

Chance de Kem Nunn, éditions Sonatine, 384 pages,  janvier 2017 – 21€ sur Amazon

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