Catégorie : Lectures – Classement par note

Chance – Kem Nunn [Roman]

Chance Kem NunnLe Dr Eldon Chance est un neuropsychiatre d’une cinquantaine d’années qui vit à San Francisco. Son activité consiste à évaluer des patients pour livrer son expertise auprès des tribunaux. Sa vie personnelle est un naufrage, sa femme vient de le quitter pour un jeune coach sportif, le divorce l’a mis sur la paille, et il ne peut plus payer l’école privée de sa fille ado, avec qui il tente tant bien que mal de maintenir une relation. Face à sa situation financière délicate il est tenté par la magouille d’un antiquaire qui lui propose de vendre quelques-uns de ses meubles bien au-dessus de leur valeur réelle. Tout comme il est tenté par Jacklyn Blackstone, une de ses patientes. A moins que ce ne soit par son double, car Jacklyn souffre d’un dédoublement de personnalité. Quand on sait que la belle est en plus affublée d’un mari violent et jaloux, qui s’avère être un policier véreux, les chemins sur lesquels Chance est sur le point de s’aventurer semblent plus que tortueux.

Les fous ne sont pas toujours ceux qu’on croit, tel pourrait être le crédo de ce thriller psychologique. Si au départ les choses semblent  limpides, et les troubles psychiatriques réservés aux patients de Chance, plus on avance dans le roman, plus on se demande si les autres personnages sont réellement sains d’esprit, y compris notre bon docteur qui va se laisser embarquer dans une histoire rocambolesque à plusieurs niveaux. Le roman s’appuie surtout sur une belle galerie de  personnages secondaires, à commencer par la mystérieuse Jacklyn, dont on ne sait  si elle est manipulée ou manipulatrice. Il y a aussi l’imposant D., restaurateur de meubles, mercenaire des bas-fonds de San Francisco à ses heures perdues, et qui va devenir l’allié improbable du Dr Chance.

J’ai beaucoup aimé la première partie de ce roman, rythmée par l’inclusion des expertises psychiatriques menées par Chance, mais le soufflé est ensuite un peu retombé et je me suis perdue au fil du roman dans les choix douteux de Chance, et sa longue (longue, trop longue) descente aux enfers. C’était plutôt bien parti donc mais ce roman ne m’a finalement pas complètement convaincue, dommage ! A noter que ce roman a fait l’objet d’une adaptation en série (avec Hugh Laurie dans le rôle principal).

Chance de Kem Nunn, éditions Sonatine, 384 pages,  janvier 2017 – 21€ sur Amazon

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[Roman] Etta et Otto (et Russell et James) – Emma Hooper

ette et ottoA 83 ans, Etta n’a jamais vu la mer. Alors un jour, sans prévenir personne, elle quitte sa province canadienne du Saskatchewan pour parcourir seule et à pied les 3232 kilomètres qui la séparent de l’océan. Elle laisse juste un petit mot à son mari Otto,  “J’essaierai de ne pas oublier de rentrer“.  Etta, qui perd un peu la tête, est accompagnée durant tout son voyage par un coyote qui lui parle et prénommé James, comme son neveu unique qu’elle n’a pas connu.  Otto  décide d’attendre patiemment le retour de sa femme, il lui écrit des lettres qu’elle ne lira pas, confectionne les recettes qu’elle lui a laissées, se lance dans d’impressionnantes sculptures en papier mâché… En revanche leur voisin Russel, qui a toujours été secrètement amoureux d’Etta, va se lancer à sa recherche.

Le grand voyage d’Etta est l’occasion de revenir sur sa vie, sa jeunesse, et sa rencontre avec Otto, sur cet amour plus qu’improbable entre une jeune fille issue d’un milieu favorisé, qui a perdu sa sœur unique, qui se destine à devenir institutrice, et un jeune homme illettré, fils de fermiers, perdu au milieu d’une fratrie de 14 enfants, auxquels on donne des numéros pour mieux s’y retrouver. C’est donc un roman d’amour et d’amitié, puisque Russel n’est jamais loin, le roman d’une génération aussi, marquée par la guerre en Europe. C’est un roman sur la vie et la mort, les drames et des joies, les occasions et les choix, sur la mémoire aussi, celle qui reste et celle qui s’en va. Etta et Otto (et Russel et James) est un livre doux et tendre, émouvant mais jamais vraiment triste, bien qu’il tourne autour de thèmes graves comme la fin de vie. Mais il y a chez notre trio d’octogénaires une part d’innocence et de folie qui rend cette lecture légère, malgré tout,  et très attachante.

Etta et Otto (et Russel et James) d’Emma Hooper
Editions Les escales, 327 pages, Octobre 2015 –Note/4 etoiles

[Roman] Transatlantic – Colum McCann

transatlanticJe n’avais pas lu Colum McCann depuis son Danseur publié en 2003, dont je gardais un souvenir un peu mitigé, mais je m’étais promis que je tenterais un autre titre de cet auteur.

J’ai beaucoup hésité entre un recueil de nouvelles et un roman (j’avais aussi envie de lire Et que le monde poursuive sa course folle, élu meilleur livre de l’année en 2009 par le magazine Lire). J’ai finalement choisi Transatlantic, un roman… qui commence comme un recueil de nouvelles. La première partie comporte trois histoires distinctes, qui se déroulent à 3 époques différentes et qui ne semblent pas avoir de lien entre elles, si ce n’est de mettre en avant l’idée d’un pont entre les Etats-Unis et l’Irlande.

Il y a d’abord Alcock et Brown, deux rescapés de la Grande Guerre, qui vont tenter de traverser l’Atlantique à bord d’un biplan en 1919. Puis on suit Frederick Douglass, un ancien esclave, qui débarque en 1845 à Dublin pour y convaincre la bonne société irlandaise de l’aider dans sa lutte contre l’esclavage, mais qui va aussi découvrir l’extrême pauvreté de l’Irlande. Le dernier récit met en scène George Mitchell, ancien sénateur américain qui tente de mener le processus de paix en Irlande du Nord en 1998. Alcock et Brown, Douglass, Mitchell,  4 personnages qui ont réellement existé et qui ont marqué l’histoire du lien entre les deux pays.

Il faut donc attendre un peu pour plonger dans la partie purement fictionnelle sur les pas de Lily, jeune irlandaise partie tenter sa chance en Amérique en 1845, et que l’on retrouve 16 ans plus tard, en pleine guerre de sécession. La première d’une lignée de personnages féminins qui marchent sur ce fil invisible entre les Etats-Unis et l’Irlande, 4 générations de femmes qui verront tomber les hommes des deux côtés de l’Atlantique. Lily, Emily, Lottie, Hannah. Au fil de l’histoire on retrouve les personnages de la première partie:  c’est sous l’impulsion de Douglass que Lily a quitté Cove pour New-York, Emily et Lottie ont couvert le départ d’Alcock et Brown lors de leur traversée de l’Atlantique… La petite histoire et la grande histoire se mêlent inextricablement au fil des pages. J’ai regretté que cette 2ème partie ne soit pas plus longue, j’aurais aimé accompagner un peu plus longtemps ces personnages féminins. Mais malgré ce petit bémol Transatlantic reste un roman étonnant et riche, une saga familiale atypique, servie par une écriture flamboyante, qui brode avec délicatesse sur le thème du lien.

Transatlantic de Colum McCann, éditions 10/18, septembre 2014, 360 pages – Note/4 etoiles
Vous pouvez retrouver la biographie de McCann sur le site des éditions 10/18

[Roman] Ma mère du Nord – Jean-Louis Fournier

Ma-mere-du-nordAprès avoir évoqué son père (Il n’a jamais tué personne, mon papa), ses deux fils (Où on va papa?), sa femme (Veuf) et sa fille (La servante du seigneur), Jean-Louis Fournier revient une nouvelle fois avec un récit familial, celui-ci étant consacré à sa mère.  “Elle est la seule que je n’ai pas encore eue dans mon collimateur. Pourquoi maintenant? Parce que je suis vieux. C’est toujours chez leur mère que se réfugient les gangsters après leur dernier coup. Surtout, je voulais garder le meilleur pour la fin”.

Elle n’a pas eu une vie facile, Marie-Thérèse. Restée presque toute sa vie sous la coupe d’une bonne-maman envahissante, elle est poussée dans les bras d’un médecin alcoolique, dans l’espoir fou qu’elle pourra le remettre sur le droit chemin. C’était une femme discrète, hypocondriaque – comme le sont souvent les gens en mal d’amour – et qui rechignait à exprimer ses sentiments. Mais c’était aussi une femme solide, pugnace, indépendante, malgré la forte opposition de son mari (une femme de médecin ça ne travaille pas!), qui s’occupait quasiment seule de ses 4 enfants, et qui a toujours maintenu sa famille à flot malgré les tempêtes. C’était un rocher auquel ses enfants pouvaient s’agripper.

Le livre est une succession d’instantanés, il alterne les souvenirs de l’auteur et les descriptions de photos, invite aussi parfois les petits-enfants à évoquer un souvenir marquant de leur grand-mère.  J’aime beaucoup le style brut de Jean-Louis Fournier,  sans concessions ni fioritures, cette succession de phrases très courtes, comme s’il énonçait juste des faits alors qu’il en dit tant et plus entre les mots, cette ironie grinçante sous laquelle affleurent les sentiments. Il est aussi parfois espiègle, avec ce titre à double sens (Ma mère du Nord évoque à la fois la froideur apparente de sa mère, et le fait qu’elle était originaire d’Arras) et cette métaphore filante autour de la météo marine (Chaque titre de chapitre est rédigé à la manière d’un bulletin météo, “Pour Pas-de Calais, vents variables, la mer sera belleGrand frais en cours sur Pas-de-Calais, etc…). Ma mère du Nord est un livre simple, mélancolique, un récit très personnel mais tout en pudeur. Une lettre d’amour délicate, gorgée de tendresse, et de regrets aussi, d’un fils qui n’a jamais su dire à sa mère à quel point il l’aimait.

L’avis de Laure, celui de Grégoire Delacourt.
Editions Stock (Septembre 2015), 198 pages – Note/4 etoiles

[Roman] L’héritage – Katherine Webb

l-heritage-katherine-webb1902, Caroline, jeune New-Yorkaise de bonne famille, tombe amoureuse de Corin, un éleveur de bétail qui s’est installé dans l’Ouest. Ils se marient rapidement mais les conditions difficiles de sa nouvelle vie, bien loin du confort new-yorkais, ses problèmes pour avoir un enfant, la cohabitation craintive  avec les employés indiens du ranch, et sa solitude dans ces espaces sauvages vont progressivement avoir raison de la santé mentale et physique de Caroline.

De nos jours. Les arrière-petites-filles de Caroline, Beth et Erika, reviennent s’installer dans le  manoir anglais dont elles viennent d’hériter à la mort de leur grand-mère Meredith. Mais le souvenir de leur cousin Henry, mystérieusement disparu 23 ans plus tôt lors de vacances au manoir continue de les hanter. Erika est persuadée que l’état dépressif de sa soeur date de cette époque et qu’elle cache quelque chose à propos de la disparition d’Henry.

Voilà longtemps que je voulais découvrir l’œuvre de Katherine Webb, jeune romancière anglaise devenue en quelques années une référence en matière de sagas familiales. J’ai choisi ce titre un peu par hasard (c’était le seul disponible dans ma bibliothèque), et il se trouve que L’héritage est son tout premier roman.

Le livre s’ouvre en 1905, sur une scène percutante: Caroline y abandonne un jeune enfant nu, enveloppé dans une taie d’oreiller brodée d’iris jaunes (la précision aura son importance), à proximité d’un camp de gens du voyage. Qui est cet enfant? Pourquoi l’abandonne-t-elle?  Le reste du roman s’emploie à raconter les trois années qui ont précédé cette tragédie, entre New York, le grand Ouest Américain et un vieux manoir anglais. En contrepoint il y a l’histoire de Beth et Erika, où là aussi il est question d’un enfant, disparu au cours d’une après-midi de jeux avec ses cousines. Deux lourds secrets de famille, d’un siècle à l’autre, qui se répondent et finiront par se rejoindre, Erika cherchant à savoir ce qu’est devenu l’enfant inconnu découvert sur une vieille photo de famille. L’héritage c’est à la fois le manoir, mais surtout ces secrets, ces douleurs que l’on se transmet d’une génération à l’autre, une ligne funeste qu’Erika va tenter de briser pour sauver sa soeur dépressive… J’ai bien aimé l’alternance entre les deux époques (Katherine Webb en a un peu fait son fonds de commerce puisqu’elle use du même procédé dans deux autres romans, Pressentiments et A la claire rivière). J’ai cependant préféré la partie mettant en scène Caroline, j’ai trouvé celle concernant Beth et Erika un peu paresseuse et redondante (l’auteur revient sans arrêt sur la dépression de Beth), le rythme s’en ressent. Mais on continue à tourner les pages parce qu’on meurt d’envie de savoir ce qui s’est passé… Le double dénouement sera à la fois tragique et amer. Malgré quelques réserves, si comme moi vous êtes amateur de sagas familiales, ce roman devrait vous combler!

Traduction par Sylvie Schneiter. Première édition française chez Belfond (2011). Disponible en poche chez Pocket (2013) – 523 pages. 3 etoiles