Catégorie : Lectures – Classement par Genre

Moi vivant, vous n’aurez jamais de pauses, ou comment j’ai cru devenir libraire – Leslie Plée

En 2005 Leslie Plée décroche un poste de libraire dans “une grande surface de produits culturels” (Cultura pour ne pas la nommer) à Rennes. Mais la jeune diplômée va aller de désillusions en désillusions: Le poste n’a d’abord pas grand chose à voir avec les fonctions d’un libraire (elle étiquette des crayons à tour de bras ou nettoie les étagères avec du papier toilette). Les conditions de travail sont  difficiles,  les clients impatients et exigeants, et entre collègues c’est en général le règne du chacun pour soi.  Quant aux cadres, issus d’écoles de commerce,  ils pratiquent un management agressif et cynique, et  considèrent que le livre est un produit de consommation comme les autres (Et là mon petit cœur de lectrice frémit).

Leslie Plée a choisi l’humour pour dénoncer une réalité sociale et culturelle révoltante, et elle rapporte avec une ironie grinçante des anecdotes plus ubuesques les unes que les autres. C’est souvent drôle bien sur, mais aussi  touchant quand elle évoque  son mal être et ses illusions sacrifiées sur l’autel du profit et de la bêtise.  Écœurée, la jeune femme jettera finalement l’éponge au bout d’un an, et démissionnera pour se consacrer au dessin: A quelque chose malheur est bon!

Editions Jean-Claude Gawsewitch 2009, 91 pages, 15€
Lu par Laure, Cachou, Michel, Emeraude, Clarabel, Levraoueg, GeorgeLael

La rafale des tambours – Carol Ann Lee (Rentrée littéraire 2009)

A la veille de la première guerre mondiale Ted présente sa fiancée à Alex, son meilleur ami. Mais entre Clare et Alex c’est le coup de foudre, immédiat, intense, absolu. Quand la guerre éclate les trois jeunes gens partent séparément pour la France: Clare comme infirmière, Alex comme correspondant de guerre, tandis que Ted part combattre dans les tranchées. Malgré la guerre et l’affection qu’ils portent tous deux à Ted, Clare et Alex entament une relation passionnée et chaotique.

Ce résumé ne rend vraiment pas justice au roman, car bien plus que l’histoire d’amour entre Clare et Alex, c’est bien la grande guerre qui est au cœur de ce livre. Les différents points de vue des personnages permettent de l’aborder sous tous ses angles: Dans des hôpitaux de fortune Clare accueille les victimes de cette gigantesque boucherie, des jeunes hommes ravagés, littéralement en morceaux, les aidant à mourir plus souvent qu’elle ne les soigne. Alex lui fréquente les états-majors et  les officiers, se heurtant sans cesse à la censure, les autorités refusant que le peuple britannique connaisse l’effrayante réalité des combats, et le sort terrible réservé à ses fils. Ouvrant et fermant le livre quelques pages particulièrement bouleversantes évoquent aussi le rapatriement et l’inhumation du Soldat Inconnu en 1920, et le recueillement d’une nation toute entière. En contrepoint, la passion entre Clare et Alex, animale et destructrice, résonne comme un écho à la guerre et si le thème du triangle amoureux  est assez classique, l’écriture de Carol Ann Lee, d’une précision implacable et tranchante, lui donne du relief. La rafale des tambours est vraiment un très beau roman, ce que j’ai lu de mieux dans cette rentrée littéraire pour le moment.

Editions de la Table Ronde 2009, 395 pages, 22,50€
Lu dans le cadre d’un partenariat entre Blog-O-Book (vous y trouverez d’autres avis de lectrices) et les éditions de La Table Ronde, merci!

Dans mes yeux – Bastien Vivès


Deux étudiants se rencontrent dans une bibliothèque: Les premiers mots échangés, le premier baiser, une soirée d’anniversaire ou une visite au zoo, leur première nuit, les doutes aussi… Dans mes yeux raconte les balbutiements de ce jeune couple.

L’originalité de cette bande dessinée tient dans le point de vue choisi, puisque le lecteur voit tout à travers le regard du jeune homme… nous sommes littéralement “dans ses yeux”!  Le procédé donne un album elliptique, entièrement tourné vers la jeune fille:  On ne fait que deviner la présence et les paroles de son compagnon (il manque donc la moitié des dialogues, ce qui est un peu déstabilisant).

Ici encore, comme dans Le gout du chlore, Bastien Vivès accorde une place essentielle au regard, aux corps et aux attitudes, prend le temps de décomposer chaque geste… Meme si le sujet est assez banal,  l’auteur lui apporte une vraie fraicheur en bousculant les codes narratifs, et livre ici un album étonnant, subtil et troublant, qui nous fait approcher au plus près l’intimité naissante d’un couple.

L’avis de Juliann
KSTR 2009, 133 pages, 16€

A voir aussi le blog de Bastien Vives

Le gout du chlore – Bastien Vivès


Sur les conseils de son kiné un jeune homme se met à fréquenter régulièrement la piscine municipale. Il y croise une jeune femme, et semaine après semaine,
entre deux longueurs, il tente de la séduire.

Le gout du chlore est presque une histoire sans paroles, s’attardant surtout sur des regards, des attitudes, des gestes. La discrétion des dialogues permet d’apprécier pleinement l’atmosphère particulière du lieu: le silence ouaté, le pouvoir enveloppant et apaisant de l’eau, la promiscuité des corps… Si j’ai vraiment été séduite par le dessin et l’ambiance de cet album, j’ai regretté en revanche le manque de consistance du scénario, et une fin “ouverte” qui laisse beaucoup de questions en suspens.


Sylvie, Enna, Juliann, Bel gazou, Cocola ont aimé, Laure et Florinette sont déçues par la fin, Finette est déroutée,  Rose n’a pas aimé.

KSTR 2009, 135 pages, 16€


A voir aussi le blog de
Bastien Vives

Les mémoires de Giorgione – Claude Chevreuil


1510, le peintre vénitien Giorgione, malade de la peste, est revenu dans son village natal de Castelfranco pour y mourir. Il écrit une longue lettre à l’un de ses élèves, Sebastiano Del Piombo, dans laquelle il revient sur sa vie: fils de modestes paysans, il a quitté très tôt sa famille pour s’installer à Venise et intégrer l’atelier du grand Bellini. Lors de ses années d’apprentissage, il rencontrera les plus grands artistes, fréquentera la noblesse italienne, et découvrira aussi les plaisirs de l’amour .

Bien plus que le portrait romancé d’un peintre, Les mémoires de Giorgione est aussi le récit d’une époque foisonnante, la renaissance italienne, et d’une ville, Venise,  en pleine ébullition artistique. Au cours de son existence brève mais intense (il est mort à 33 ans), Giorgione y rencontrera entre autres grandes figures Léonard de Vinci, Dürer ou Titien, qui fut son élève avant de s’affirmer comme son plus grand rival. Claude Chevreuil livre ici un texte dense et passionné, parfois un peu obscur pour le non-initié quand il aborde certains aspects techniques de la peinture. Mais en bon pédagogue il s’efforce le plus souvent d’alléger le propos, par exemple  en accordant une large place à la vie amoureuse du peintre, et le récit est finalement assez bien équilibré, à la fois instructif et divertissant. S’il vaut mieux être un amateur averti pour saisir toutes les subtilités du récit, ceux qui comme moi ne connaissent pas grand chose à la peinture passeront donc tout de même un bon moment avec ce roman!


Le livre de poche, 416 pages, 6,50€
Les avis de Praline et de Kepherton.