Catégorie : Romans francophones

La joueuse d’échecs – Bertina Henrichs

3-etoiles.gif

Eleni vit avec son mari et ses deux enfants sur l’île grecque de Naxos. Femme de ménage dans un hôtel, elle mène une vie plutôt monotone, jusqu’à ce qu’elle se
découvre un intérêt profond et inattendu pour les échecs. Mais cette nouvelle passion va lui attirer les moqueries des gens de l’île et la colère de son mari. Eleni trouvera du
réconfort auprès d’un vieux professeur qui l’aidera à maîtriser l’art des échecs et à affronter le regard des autres.
J’ai plutôt aimé le cheminement de cette femme un peu frustre qui, grâce à sa passion, va s’ouvrir au monde et s’émanciper, découvrir une vie au delà du
dévouement familial et du carcan des bienséances locales. Le lien qu’Eleni tisse avec le vieux professeur (le personnage le plus abouti, le plus émouvant) reste cependant pour moi l’aspect
le plus intéressant du roman. La qualité de l’écriture est aussi à souligner, d’autant que l’auteur, d’origine allemande, a écrit ce roman directement en français.
J’ai été moins convaincue par la partie du récit qui décrit le scandale que provoque la passion d’Eleni, la façon dont elle est moquée, rejetée par la société et par
sa famille. J’ai trouvé cet aspect peu crédible, ou du moins assez mal amené. Par ailleurs, bien que ce roman soit assez court (150 pages), j’y ai trouvé quelques longueurs, qui me font
penser que la forme de la nouvelle aurait été plus appropriée à cette histoire. Malgré ces quelques réserves, “la joueuse d’échecs” est un joli portrait de femme, assez classique, mais agréable à
lire.
Liana Levi 2005, 151 pages, 15€

Vous plaisantez monsieur Tanner – Jean-Paul Dubois

3-etoiles.gif

Monsieur Tanner, documentariste animalier, hérite d’un vieil oncle une grande demeure en piteux état. Pour accomplir d’importants travaux de rénovation, il doit faire
appel à différents artisans: Couvreurs fourbes et voleurs, électricien bigot et incompétent, maçon antipathique, peintre frustré ou chauffagiste maladroit, tous vont rivaliser d’ingéniosité pour
faire de la vie de Monsieur Tanner un enfer…
Des artisans plus étranges les uns que les autres, un narrateur naïf et un peu lâche, Jean-Paul Dubois livre ici une jolie galerie de personnages. Bien que le trait
soit souvent grossi, le défilé des professionnels et la description de leurs travers en tous genres sont plutôt drôles. Et les chapitres courts donnent un roman rythmé qui se lit vite
et facilement. Pourtant, “Vous plaisantez Monsieur Tanner” atteint rapidement ses limites en se cantonnant à une accumulation de portraits, sans vraiment chercher à approfondir le propos.
Je suis donc restée sur ma faim avec ce livre sympathique mais un peu léger.

Editions de l’Olivier 2006, 198 pages, 16.50€

Magnus – Sylvie Germain

4-etoiles.gif

Franz-Georg, un petit garçon allemand de 5 ans, a perdu la mémoire à la suite d’une forte fièvre. Patiemment, sa mère lui retrace ces années oubliées, reconstruit ses
souvenirs perdus. Inséparable de son ourson élimé prénommé Magnus, Franz-Georg vit ainsi dans un cocon familial dominé par un père un peu distant qu’il admire pourtant sans réserve. Mais la fin
de la guerre 39-45, la défaite de l’Allemagne, la fuite de ses parents vont bouleverser à nouveau l’existence du petit garçon.
La construction du roman, qui joue sur l’alternance entre la vie de Franz-Georg et de courtes séquences (la bio d’un personnage, un poème, etc…), donne un bon rythme
au récit. On suit avec passion la vie chaotique de Franz-Georg, les révélations sur sa famille, sa folle quête d’identité, les nombreux drames qui jalonneront son existence. Le jeune homme, très
attachant, tente de se construire sur des fondations bancales, confronté sans cesse au trou noir de sa petite enfance qui a été comblé à grand coup d’illusions et de mensonges. J’ai
cependant été un peu déçue par la dernière partie du roman, qui sombre dans le mystique et élude les réponses romanesques. Je n’ai pas non plus complètement adhéré au style un peu trop
travaillé de Sylvie Germain, à son écriture un peu froide. Malgré ces quelques réserves, ce roman ambitieux est vraiment très agréable à lire.
Prix Goncourt des Lycéens 2005
Albin Michel 2005, 274 pages, 17.50?

Le 18 – Ludovic Roubaudi

3-etoiles.gif

Grand, le narrateur, effectue son service militaire dans une caserne de pompiers. Avec ses comparses, il est confronté tour à tour à des situations insolites (des
vaches égarées sur le périphérique) ou à des histoires plus graves (une mère désespérée qui jette son enfant du haut d’un escalier). Le quotidien de la caserne est rythmée par les frasques de
personnages haut en couleurs: La Gentiane et son penchant pour la Suze, Malavoie, le chauffeur fort en gueule… Mais cet univers masculin et l’ambiance bon enfant sont profondément perturbés par
l’arrivée d’une femme à la tête de la caserne.
Ce roman léger et plutôt drôle nous plonge dans un univers particulier avec ses codes et son langage souvent fleuri. Le fil principal (la manière dont une femme
devra s’imposer dans un univers macho), use de ficelles un peu caricaturales et attendues, et n’est donc pas le point fort du récit. Mais la vie quotidienne de la caserne, le sens de
l’amitié entre les personnages, les récits ubuesques de leurs sorties permettent de passer un moment agréable. Sous les fanfaronnades des personnages affleurent même parfois des thèmes plus
profonds, et ce roman aborde aussi les situations souvent difficiles que doivent affronter ces héros du quotidien.
2004, Folio, 4.50€
Le blog de Ludovic Roubaudi: http://roubaudi.blogspot.com

L’eau du bain – Pascal Morin

4-etoiles.gif

Un citadin revient passer ses vacances dans le village de son enfance. Son père a enfin cédé, et une piscine remplace désormais le potager du grand-père. Dans un monde
rural fait de sueur et de labeur, ce symbole de l’oisiveté et du plaisir ne semble pas vraiment à sa place. Les vacances s’annoncent cependant parfaites, s’il n’y avait cette petite fille
qui rôde sans cesse autour du narrateur, et lui chuchote comme un inquiétant présage “il va y avoir du malheur”…

Voilà un curieux récit au déroulement inattendu, une lecture qui m’a arraché quelques hoquets de surprise! L’atmosphère de ce roman est troublante, entre la
torpeur d’un Sud écrasé de chaleur, et la fraîcheur hypnotique, obsessionnelle de l’eau. Dans ce huis clos familial et malsain, la fameuse piscine va cristalliser les rancœurs et les secrets de
trois générations d’hommes, et conduira trois frères à signer un pacte tacite et glaçant. Pascal Morin pousse le cynisme et la cruauté très loin, jusqu’au malaise, et en refermant ce roman, je
n’étais pas vraiment sûre de l’avoir aimé!  “L’eau du bain” est en tous cas un roman original et déconcertant, dense et habile, qui bouscule le lecteur.

2004, Babel, 121 pages, 6.50€