Catégorie : Lectures

La fractale des raviolis de Pierre Raufast : un récit gigogne

La fractale des raviolis

Je suis désolé, ma chérie, je l’ai sautée par inadvertance”. Une femme trompée décide de tuer son époux en empoisonnant son plat de raviolis. Mais rien ne va se passer comme prévu… 

Difficile de résumer ce livre qui est en fait un récit gigogne. La première histoire en cache une autre qui elle-même en cache une autre, etc.  Au milieu du livre, on repart en sens inverse, reprenant chaque histoire à rebours pour finir sur celle qui ouvrait le livre (vous suivez toujours ?).

Le procédé est original, et on ne peut que saluer l’imagination et l’inventivité de Pierre Raufast. Toutes les histoires qui composent ce récit sont très différentes les unes des autres. Un informaticien allemand qui imagine une toile impossible à prendre en photo, un arnaqueur de vieilles dames, un serial-killer en herbe ou un écrivain confronté à une invasion de rat-taupes, chaque histoire est étonnante et improbable. Le récit est assez addictif, et on est curieux de savoir où va bien pouvoir nous emmener l’auteur au chapitre suivant. Avec cette alternance d’histoires très courtes, La fractale des raviolis est plus proche d’un recueil de nouvelles (dont je suis peu friande) que d’un roman. Je ne regrette cependant pas d’avoir lu ce livre surprenant ! 

La fractale des raviolis de Pierre Raufast (clic)*, éditions Folio 2015, 240 pages.

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Céleste, Tome 2 : il est temps Monsieur Proust de Chloé Cruchaudet

Céleste : il est temps Monsieur Proust

J’avais beaucoup aimé le premier tome de Céleste : bien sûr Monsieur Proust*, inspiré par les mémoires de Céleste Albaret, qui fut au service de Marcel Proust pendant une dizaine d’années. Quel plaisir donc retrouver Céleste et Marcel dans ce second tome. Après avoir déserté son poste à la fin du premier volume, lassée du comportement tyrannique de Proust, Céleste reprend ici sa place auprès de l’écrivain. La santé de celui-ci ne s’améliore pas, et il continue à écrire À la recherche du temps perdu du fond de son lit. Éternellement insatisfait, il semble incapable d’y mettre un point final… Céleste a quant à elle fait venir sa sœur Marie de province afin de la seconder.

La seconde partie de ce diptyque est tout aussi réussie que la première, grâce notamment au trait de crayon de Chloé Cruchaudet et à ses personnages virevoltants. Elle décrit avec tendresse et humour la relation atypique et étonnante entre Marcel et Céleste. Si Céleste ne savait strictement rien faire quand elle a débarqué à Paris au début du tome 1, elle gère désormais tout l’aspect matériel de la vie de Proust avec beaucoup d’efficacité (l’épisode du déménagement est épique), et elle est aussi devenue sa confidente privilégiée. Elle l’aide même dans son travail d’écriture, en classant par exemple ses paperolles, ces petites bandes de papier qu’il utilisait pour apporter des modifications à son manuscrit. On tourne à regret la dernière page, difficile de dire adieu à ce duo très attachant ! 

Céleste : il est temps Monsieur Proust (clic)* de Chloé Cruchaudet, éditions du soleil 2023, 140 pages.

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Odette Froyard en trois façons d’Isabelle Monnin : une enquête familiale

Odette Froyard en trois façons - Isabelle Monnin

“Il n’y a de femme invisible que pour ceux qui regardent mal”. 

Près de 30 ans après sa mort, Isabelle Monnin entreprend de dresser le portrait de sa grand-mère. Quelle empreinte a donc laissé cette femme discrète, qui ne parlait jamais d’elle-même et préférait se consacrer au bien-être des autres ? Les souvenirs d’enfance ne vont finalement laisser qu’un grand sentiment de frustration à l’autrice : certes Odette était aimée, mais encore ? Qui était-elle vraiment, en dehors de son statut d’épouse et de mère ? Isabelle Monnin s’engage alors dans une véritable enquête familiale et généalogique

Y-a-t’il toujours de l’extraordinaire dans l’ordinaire ? Isabelle Monnin en est persuadée. Alors elle fouille inlassablement dans la vie d’Odette, interroge ceux qui restent, met à jour des secrets de famille. Et pour que l’on n’oublie pas Odette, elle s’arrange parfois un peu avec la réalité, se servant de son talent de romancière dans la dernière partie pour combler les fissures qui restent malgré son minutieux travail de recherche. Odette Froyard en trois façons est un livre cousu à petits points délicats, dans lequel l’autrice invoque aussi les autres fantômes de sa vie, son fils et sa sœur, pour l’accompagner sur le chemin de la mémoire. J’ai beaucoup aimé ce roman très émouvant, qui m’a parfois fait penser (de par l’enquête familiale, la période de la 2ème guerre mondiale, et cette envie de redonner leur entière place aux disparus) à un autre roman adoré, La carte postale d’Anne Berest. 

Odette Froyard en trois façons (clic)* d’Isabelle Monnin, éditions Gallimard 2024, 272 pages

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Les guerres de Lucas – Prix BD Fnac / France Inter 2024

Les guerres de Lucas

Les guerres de Lucas retrace le chemin de croix de George Lucas pour que le premier Star Wars voit le jour. A l’époque personne ne croit vraiment à ce projet farfelu de science-fiction, à commencer par les producteurs de la Fox, qui rechignent à signer le contrat de financement.  Du scénario que Lucas ne cesse de remodeler jusqu’au casting laborieux (il a auditionné plus de 2000 candidats en 3 semaines pour les rôles principaux) en passant par les effets spéciaux inédits qui lui donneront bien du fil à retordre, cette BD passionnante retrace toutes les péripéties de ce premier volet, et dévoile quelques secrets de tournage. Nul besoin d’être un fan inconditionnel de Star Wars (mieux vaut avoir vu le film quand même) pour apprécier cette BD richement documentée qui nous plonge dans une période en or du cinéma américain (on y croise aussi Brian de De Palma, Steven Spielberg ou Francis Ford Coppola). 

Plus que l’histoire d’un film, ce roman graphique est également le portrait d’un réalisateur qui n’est alors qu’aux portes de la célébrité (American Graffiti vient de rencontrer un succès inattendu). G. Lucas était un enfant rêveur et rebelle qui deviendra un étudiant brillant, passé près de la mort après un accident de voiture. S’il a une imagination débordante, c’est en revanche un réalisateur taiseux, au tempérament parfois maniaque et obsessionnel, qui a souvent du mal à se faire respecter par ses équipes. Cette BD redonne également la place qu’elle mérite à Marcia, première épouse de Lucas, femme de l’ombre et soutien inconditionnel, même dans les périodes les plus difficiles. 

Les guerres de Lucas a reçu le Prix BD Fnac – France Inter 2024

Les guerres de Lucas (clic)* de Laurent Hopman & Renaud Roche, Deman éditions 2023, 208 pages

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Les aiguilles d’or – Michael McDowell

Les aiguilles d'or - Michael McDowell

“Ses fins cheveux bruns, constamment rassemblés en un chignon, lui arrivaient sur la nuque, ce qui lui permettait de masquer l’absence de son oreille gauche arrachée d’un coup de dent en 1869 lors d’une bagarre contre Phallus Meg au Hole In The Wall; on pouvait toujours admirer son oreille, préservée avec d’autres dans un bocal d’alcool derrière le comptoir de cet établissement aussi méprisable que florissant”. 

New York, 1882. Le juge James Stallworth est bien décidé à nettoyer “le triangle noir”, l’un des quartiers les plus mal-famés de la ville, et à profiter de sa position pour propulser son gendre Duncan sur la scène politique. Dans son viseur se trouve en particulier la famille Shanks, dirigée par la matriarche Lena. Si elle possède une modeste boutique de prêteuse sur gages, Lena Shanks, secondée par ses deux filles, s’est en fait construit une petite renommée locale grâce au recel et aux avortements clandestins. Les rues de New-York vont devenir le terrain d’affrontement des deux familles, chacune avec ses atouts, ses faiblesses et ses armes. 

J’avais beaucoup aimé la série Blackwater, et j’étais donc impatiente de lire ce roman de Michael McDowell. Mais il faut bien le dire, je me suis franchement ennuyée pendant plus de la moitié du livre. La mise en place est interminable et l’intrigue s’enlise dans de longues scènes descriptives : on est ici plutôt dans un roman d’ambiance, au milieu des fumeries d’opium et des cercles de jeux clandestins. J’ai aussi eu du mal à m’attacher à des personnages que j’ai trouvés caricaturaux et sans épaisseur. J’avoue, j’étais à deux doigts d’abandonner et puis un petit miracle a eu lieu vers la page 300 : Il se passe enfin un événement majeur qui a relancé mon intérêt pour ce roman et j’ai finalement eu beaucoup de plaisir à lire la dernière partie, tout à fait décoiffante et captivante. Je ne suis donc pas complètement fâchée avec Michael McDowell, ouf, et je lirai sans aucun doute son roman Katie, à paraître le 19 avril aux éditions Monsieur Toussaint Louverture. 

Les aiguilles d’or (clic)* de Michael McDowell, éditions Monsieur Toussaint Louverture 2023, 520 pages

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