Catégorie : Romans francophones

Les vivants et les ombres – Diane Meur (Rentrée littéraire 2007)

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En Galicie, une terre polonaise désormais sous domination autrichienne, une vaste demeure raconte la vie de ses habitants sur plus d’un
demi-siècle. En 1820, Jozef Zemka devient l’intendant du domaine qui appartenait autrefois à sa famille. Bien décidé à récupérer la terre de ses ancêtres, il parvient à ses fins en séduisant
et en épousant la jeune fille de la maison, la douce et naïve Clara. De cette union naîtront cinq filles, au grand dam de Jozef qui souhaitait un héritier.

Ce pavé de 700 pages demande un peu de temps et de concentration: Il y a d’abord un contexte politique et historique assez complexe, mais aussi
un style très riche, et une rigueur qui donne à ce roman des allures de classique. Au cours de ma lecture j’ai souvent pensé à
Dans
la main du diable
d’Anne-Marie Garat, mais alors que j’avais
abandonné le Garat
, le livre de Diane Meur a ce petit truc en plus qui m’a donné envie d’aller jusqu’au bout. J’ai aimé l’ambiguïté de l’atmosphère et du lieu (
cette demeure où se déroule presque tout le roman), à la fois cocon protégé du fracas du monde et huis clos
étouffant
. L’idée de confier la narration à la maison peut paraitre saugrenue mais cela se fait de manière très naturelle et apporte
finalement une vraie profondeur à l’histoire. Elle nous guide dans le labyrinthe des sentiments humains, s’attarde surtout sur les femmes qui habitent en son sein, Clara, ses cinq filles, puis sa
petite fille Tessa. Promises à une même vie terne et étriquée, elles auront toutes un destin très différent et échapperont
à
l’influence du patriarche Jozef grâce à
la passion, la religion, la fuite ou même la mort. Il y a bien quelques longueurs ici et là, mais
Les vivants et les ombres est vraiment une belle fresque familiale, très ambitieuse.

2007, éditions Sabine Wespieser, 711 pages, 29€

La donation – Florence Noiville (Rentrée littéraire 2007)

A l’occasion d’une donation, la narratrice et sa sœur se retrouvent avec leurs parents dans le bureau d’un notaire de province. Ces retrouvailles familiales et ce don matériel incitent la jeune femme à se retourner sur son passé, ses relations avec ses parents, et à se demander en quoi le trouble maniaco-dépressif dont souffre sa mère a influencé sa propre existence.

A la fin de l’ouvrage, Florence Noiville évoque “un tableau imaginaire” mais il se dégage de son récit une telle sincérité, de tels accents de vérité qu’on a du mal à croire qu’elle ne s’est pas inspiré de son histoire personnelle. Enfin peu importe, réalité ou fiction, elle aborde ici avec beaucoup de pudeur et de délicatesse le sujet de la dépression, et surtout ses effets dévastateurs sur l’entourage. Il y a d’abord les absences de la mère régulièrement hospitalisée, ou sa présence qui s’avère parfois plus terrible encore, et un père dépassé, absorbé par la maladie de sa femme. Les sentiments se bousculent,  l’incompréhension, l’amour, la colère, l’impuissance, la culpabilité insidieuse, et la peur surtout. La terreur de celle qui est devenue mère à son tour et qui se demande à quel point ce fardeau familial aura un impact sur ses propres filles, si la transmission se fera ainsi de génération en génération comme un héritage maudit. Mais à l’âge de la maturité, est il temps de comprendre, d’accepter, de pardonner? La donation est un texte intimiste et sombre, pas le genre de récit dont je suis friande d’habitude, mais ici j’ai vraiment été séduite par la sensibilité du propos et la pureté de l’écriture.

Editions Stock 2007, 13€, 126 pages/

La robe – Robert Alexis

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Dans une ville de garnison (on imagine qu’elle se situe quelque part à l’est de l’europe), à une période indéterminée (au début du
XXème siècle ?), un homme en piteux état entreprend de raconter son histoire à un inconnu : il y a quelques années, alors jeune officier, il rencontre Rosetta, une jeune femme
mystérieuse mais peu farouche. Elle va lui ouvrir les portes d’un monde insoupçonné où tombent tous les tabous, toutes les inhibitions.
Voilà un roman particulièrement troublant, dans lequel s’entrelacent les thèmes du désir, de la sexualité, de la perversion, mais aussi de la
manipulation et de la folie. Personnage touchant et ambigü, le narrateur devient la victime consentante d’un piège pervers… “La robe” est un texte dense et hors du temps, à l’atmosphère hypnotique, presque hallucinatoire, qui provoque à la fois fascination et malaise. Dommage que la fin ne soit pas vraiment à la
hauteur du reste du récit : on attend un final choc, une chute vertigineuse, on échafaude les hypothèses les plus folles… Mais malheureusement la conclusion est un peu
précipitée  et les dernières pages se révèlent sans grande surprise. Cela ne m’empêchera pas cependant de vous recommander ce livre surprenant, à l’écriture remarquable.
Editions José Corti 2006, 122 pages, 14,50€

Du rêve pour les oufs – Faïza Guène

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Ahlème (“rêve” en arabe) a 24 ans et des aspirations de son âge, sortir avec ses copines, trouver le grand amour. Mais pas facile de trouver du temps pour soi quand on doit subvenir aux besoins d’un foyer, enchaîner les missions d’intérim, s’occuper d’un père qui a perdu la tête, et surveiller un petit frère de 15 ans fasciné par les petits caïds de la cité.

On retrouve ici la patte de “Kiffe-Kiffe demain” un rien assagi, un peu plus mature, une dose d’humour en moins contre un peu plus de mélancolie, une langue toujours aussi vivante mais qui a gagné en simplicité. L’auteur réussit à conserver beaucoup de légèreté et de fraîcheur dans ce roman qui puise pourtant dans des thèmes très lourds : les souvenirs d’Algérie et d’une mère assassinée, le triste destin d’un père qui n’est plus que l’ombre de lui même, la difficulté à trouver du boulot, l’argent facile de la cité trop tentant pour un adolescent, la carte de séjour à renouveler tous les 3 mois et le spectre de l’expulsion. Même s’il n’a pas l’originalité de “kiffe-kiffe demain”, “Du rêve pour les oufs” est un bon livre, dans lequel on retrouve avec beaucoup de plaisir ce style si personnel, ce ton sensible et tendre. Faïza Guène réussit en tous cas le pari difficile de rebondir après le succès fulgurant de son premier roman!

Hachette 2006, 210 pages, 16€

Ce que je sais d’elle – Béatrice Hammer

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Une
femme a disparu. Sa famille, ses amis, sa femme de ménage ou les commerçants de son quartier ont tous une explication différente sur cette disparition mystérieuse: enlèvement, meurtre ou
fuite volontaire ? Chacun y va aussi de son avis sur le caractère et l’existence de cette femme aux contours mouvants, mère et épouse aimantes pour certains, manipulatrice égocentrique pour
d’autres.

J’ai vraiment été enchantée par la plume de Béatrice Hammer : Avec une belle économie de moyens et beaucoup de fluidité,
elle se livre ici à un exercice de style audacieux: les courts monologues s’enchaînent, liés par un enquêteur quasi-invisible que l’on ne devine qu’à travers les réponses de ses interlocuteurs.
Les différents témoignages se complètent, se contredisent et composent le visage d’une femme aux multiples facettes. La disparue ne se révèlera jamais tout à fait au lecteur, et on ne garde
finalement en tête que l’extraordinaire complexité de ce personnage. “Ce que je sais d’elle” est moins l’histoire d’une disparition, qu’un roman sur les regards qui nous construisent… ou nous
détruisent. C’est en tous cas un récit charmant et intriguant, très agréable à lire !

Editions Arlea 2006, 143 pages, 15€
Le site officiel de l’auteur